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Karl Marx | Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et chez Épicure (1ère partie)

Traduction française J. Molitor, révisée et annotée par la S.C.P.

jeudi 29 janvier 2009, par Secrétariat


Avertissement de l’éditeur

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Œuvres philosophiques I (1946)

Nous reproduisons ici, avec quelques modifications mineures (et sans doute insuffisantes), la traduction par J. Molitor de la dissertation doctorale de Marx, parue en 1946 au tome I des Œuvres philosophiques, dans la collection qui se présentait alors comme celle des « Œuvres complètes de Karl Marx », aux éditions A. Costes.

Cette édition se présentait alors sans aucun appareil critique, et sans les extraits de textes, principalement grecs et latins, cités par Marx en note avec quelques commentaires complémentaires.

Pour faciliter la lecture et la compréhension, notamment des nombreuses références à la culture gréco-latine classique et à la culture philosophique allemande contemporaine de cet écrit, nous avons donc tenté de compléter sommairement cette édition.

Pour différencier les notes de Marx des compléments d’informations qu’il nous a semblé utile d’apporter, ceux-ci seront signalés par le sigle NDLE (note de l’édition).

Pour les textes grecs et latins, nous avons suivi les traductions courantes en essayant de ne pas trop nous écarter de la lecture qu’en donne Marx en allemand (laquelle correspond, avec ses particularités, à l’état des études grecques et latines de son époque), et tenté de donner des indications assez précises pour qui voudra se reporter aux originaux. Mais il sera toujours préférable de se reporter à une édition plus récente et complète (par exemple celle de Jacques Ponnier, malheureusement épuisée).


La plupart des éditions rappellent que cette dissertation doctorale était conçue par Marx comme partie d’une recherche plus générale sur l’histoire de la philosophie antique, entamée depuis environ trois ans (1838-39). Le manuscrit original en a été perdu, et c’est sur une unique copie partielle, d’une main inconnue mais annotée par Marx lui-même, que reposent les différentes éditions.

Début avril 1841, Marx soumit son travail à la faculté de philosophie de l’Université de Iena, comme dissertation de doctorat, grade auquel il fut admis le 15 avril. Il chercha ensuite, sans succès, à publier son travail. Il semble en avoir abandonné le projet au début de 1842.

La première publication de ce texte de Marx a été réalisée en 1902 (Aus dem Literischen Nachlass von Karl Marx, Friedrich Engels und Ferdinand Lassalle, Bd. I, Stuttgart, 1902). Mais la première édition complète date de 1927, par l’Institut du Marxisme-Léninisme près le CC du PCUS, en 1927, dans le premier volume de la MEGA (Marx/Engels, Historisch-Kritische Gesamtausgabe, Erste Abteilung, Band 1, Erster Halbband, pp. 3-81).

Le texte original (en allemand) est disponible ici.

On consultera encore avec profit les cahiers préparatoires de Marx sur la philosophie d’Épicure : la version anglaise est, à notre connaissance, la seule actuellement disponible en ligne) : Marx’s Notebooks on Epicurean Philosophy

S.ch.phil.


KARL MARX

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DIFFÉRENCE
DE LA PHILOSOPHIE DE LA NATURE
CHEZ DÉMOCRITE ET CHEZ ÉPICURE

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À son très cher ami paternel
le conseiller intime du gouvernement
à Trèves
M. LUDWIG VON WESTPHALEN
en témoignage d’amour filial.

Vous m’excuserez, très cher ami paternel, de faire figurer votre nom bien-aimé en tête d’une brochure insignifiante. Je n’ai pas la patience d’attendre une autre occasion de vous donner un faible témoignage de mon affection. Puissent tous ceux qui ont jamais douté de l’idée avoir, comme moi, le bonheur d’admirer un vieillard plein de force et de jeunesse, qui salue avec l’enthousiasme et la circonspection de la jeunesse tout progrès de son époque, et qui, fort de cet idéalisme profondément convaincu et lumineux, seul dépositaire de la véritable Parole devant laquelle comparaissent tous les esprits du monde, n’a jamais reculé devant les ombres des fantômes rétrogrades, ni devant le ciel souvent obscur et nuageux de son époque, mais, avec une énergie divine et un regard d’une virile assurance, n’a cessé de contempler, au travers de tous les déguisements, l’empyrée qui brûle au cœur du monde. Vous, mon paternel ami, vous fûtes toujours pour moi la démonstration vivante ad oculos que l’idéalisme n’est pas une simple création de l’imagination, mais une vérité. Je n’ai pas à formuler de vœux pour votre bien-être physique. L’esprit, voilà le grand médecin magique à qui vous vous êtes confié. [1]

*

Avant-propos

J’aurais rédigé la présente étude sous une forme d’une part plus rigoureusement scientifique et d’autre part, pour certains développements, moins pédantesque, si mon intention première n’avait été d’en faire une thèse de doctorat. Des raisons extrinsèques me décident cependant à la faire imprimer sous cette forme. J’estime, en outre, que j’y ai résolu un problème, insoluble jusqu’ici, de l’histoire de la philosophie grecque.

Les gens compétents savent que, pour l’objet de cette dissertation, il n’existe pas de travaux antérieurs que l’on puisse utiliser. Les radotages de Cicéron et de Plutarque, on s’est contenté, jusqu’à nos jours, de les ressasser. Gassendi, qui a libéré Épicure de l’interdit dont l’avaient frappé les Pères de l’Église et tout le moyen âge, période de la déraison réalisée, ne présente dans son exposé [2] qu’un seul élément intéressant. Il s’efforce de concilier sa conscience catholique avec sa science païenne, Épicure avec l’Église, peine perdue d’ailleurs. Cela revenait à jeter la défroque d’une nonne chrétienne sur le corps splendide et florissant de la Laïs grecque. Gassendi apprend de la philosophie dans Épicure plutôt que de pouvoir nous renseigner sur la philosophie d’Épicure.

On voudra bien ne voir dans cette étude que l’amorce d’un travail plus important où j’exposerai par le détail le cycle de la philosophie épicurienne, stoïcienne et sceptique dans ses rapports avec toute la spéculation grecque. Dans ce nouvel ouvrage, je ferai disparaître les fautes de forme, etc., de la présente étude. [3]

Hegel, il est vrai, a caractérisé, dans les grandes lignes, l’élément général de ces divers systèmes. Mais le plan de son histoire de la philosophie, point de départ réel de l’histoire de la philosophie, était d’une grandeur et d’une hardiesse si admirables qu’il ne pouvait, d’une part, entrer dans le détail ; et, d’autre part, l’idée qu’il se faisait de ce qu’il appelait spéculatif par excellence* [4] empêchait ce penseur gigantesque de reconnaître dans ces systèmes la haute importance qu’ils ont pour l’histoire de la philosophie grecque et l’esprit grec en général. Ces systèmes sont les clefs de la véritable histoire de la philosophie grecque. Quant à leurs rapports avec la vie grecque, on en trouve une esquisse assez poussée dans l’ouvrage de mon ami Kœppen : Friedrich der Grosse und seine Widersacher. [5]

Si nous avons ajouté, en appendice, une critique de la polémique de Plutarque contre la théologie d’Épicure, c’est parce que cette polémique n’est pas un phénomène isolé, mais le représentant d’une espèce* : elle représente, en effet, de façon excellente le rapport entre la raison théologienne et la philosophie.

Entre autres choses, nous n’essaierons pas, dans la critique, de démontrer la fausseté générale du point de vue auquel Plutarque se place quand il cite la philosophie devant le tribunal de la religion. N’importe quel raisonnement peut être remplacé par ce passage de David Hume :

« C’est évidemment une espèce d’injure pour la philosophie que de la contraindre, elle dont l’autorité souveraine devrait être reconnue en tous lieux, à se justifier, en toute circonstance, des conséquences qu’elle entraîne, et à présenter sa défense dès qu’elle heurte un art ou une science quelconque. Cela vous fait penser à un roi qui serait accusé de haute trahison à l’égard de ses propres sujets. »  [6]

La philosophie, tant qu’une goutte de sang fera battre son cœur absolument libre et maître de l’univers ne se lassera pas de jeter à ses adversaires le cri d’Épicure :

« l’impie, ce n’est pas celui qui méprise les dieux de la foule, mais celui qui adhère à l’idée que la foule se fait des dieux. » [7]

La philosophie ne s’en cache pas. Elle fait sienne la profession de foi de Prométhée :

« En un mot, j’ai de la haine pour tous les dieux ! »

Et cette devise, elle l’oppose à tous les dieux du ciel et de la terre, qui ne reconnaissent pas la conscience humaine comme la divinité suprême. Elle ne souffre pas de rival. Mais aux tristes sires qui se réjouissent de ce qu’en apparence la situation sociale de la philosophie ait empiré, elle fait à son tour la réponse que Prométhée fit à Hermès, serviteur des dieux :

« Jamais, sois-en certain, je n’échangerais mon misérable sort contre ton servage ; j’attache plus de prix, en effet, à être rivé à cette pierre qu’à être le valet fidèle et le messager de Zeus le Père. »  [8]

Dans le calendrier philosophique, Prométhée occupe le premier rang parmi les saints et les martyrs.

Berlin, mars 1841
K.-H. Marx
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PREMIÈRE PARTIE
Différence, au point de vue général,
de la philosophie de la nature
chez Démocrite et Épicure
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I. Objet de la dissertation

Il semble advenir à la philosophie grecque ce qui ne doit pas advenir à une bonne tragédie : un dénouement faible. Avec Aristote, l’Alexandre macédonien de la philosophie grecque, il semble que se termine, en Grèce, l’histoire objective de la philosophie et que même les stoïciens, malgré leur force virile, ne réussissent pas, comme les Spartiates y avaient réussi dans leurs temples, à enchaîner Athéna à Héraklès de façon qu’elle ne pût s’enfuir.

Épicuriens, stoïciens, sceptiques, on les considère comme un épilogue pour ainsi dire parasite, sans aucun rapport avec les puissants antécédents. La philosophie épicurienne serait un agrégat syncrétique de physique démocritéenne et de morale cyrénaïque ; le stoïcisme un amalgame du système cosmologique d’Héraclite, de la con­ception morale du monde des Cyniques, voire d’un peu de logique aristotélicienne ; le scepticisme enfin le mal nécessaire opposé à ces dogmatismes. On rattache ainsi, sans s’en rendre compte, ces philosophies à la philosophie alexandrine, en en faisant un éclectisme étroit et tendancieux. La philosophie alexandrine, enfin, est considérée comme une rêverie, une désagrégation absolues, — et dans cette confusion on pourrait tout au plus reconnaître l’universalité de l’intention.

Or, une vérité fort banale nous dit bien que la naissance, l’épanouissement et la mort constituent le cercle d’airain où se trouve confinée toute chose humaine et qu’elle doit parcourir. Il n’y aurait donc rien d’étonnant à ce que la philosophie grecque, après avoir atteint l’apogée de son épanouissement, avec Aristote, se fût ensuite flétrie. Mais la mort des héros ressemble au coucher du soleil, et non pas à l’éclatement d’une grenouille qui s’est enflée. Et puis, naissance, épanouissement, mort sont des idées très générales, très vagues, où l’on peut bien tout faire entrer, mais qui ne font rien comprendre. La mort est elle-même préformée dans le vivant ; il faudrait donc, tout aussi bien que la forme de la vie, en définir la forme en un caractère spécifique.

Enfin, si nous jetons un coup d’œil sur l’histoire, l’épicurisme, le stoïcisme, le scepticisme sont-ils des phénomènes spéciaux ? Ne sont-ils pas les prototypes de l’esprit romain, la forme sous laquelle la Grèce émigré à Rome ? Ne sont-ils pas d’une essence tellement caractéristique, intense et éternelle, que le monde moderne lui-même ait été forcé de leur concéder la plénitude du droit de cité intellectuel ?

Je n’insiste sur ceci que pour remettre en mémoire l’importance historique de ces systèmes ; mais ce dont il s’agit ici, ce n’est pas leur importance générale pour l’histoire de la civilisation, c’est leur connexion avec la philosophie grecque antérieure.

N’aurait-on pas dû, en raison de ce rapport, se sentir du moins incité à des recherches, en voyant la philosophie grecque finir par deux groupes différents de systèmes éclectiques, dont l’un constitue le cycle des philosophies épicurienne, stoïcienne et sceptique, et dont l’autre est connu sous le nom de spéculation alexandrine ? N’est-ce pas en outre un phénomène remarquable qu’après les philosophies platonicienne et aristotélicienne, qui s’élargissent jusqu’à l’universalité, apparaissent des systèmes nouveaux qui ne se rattachent pas à ces riches manifestations de l’esprit, mais qui, remontant plus haut, se tournent vers les écoles les plus simplistes, – les philosophes de la nature pour la physique, l’école socratique pour l’éthique ? D’où vient-il en outre que les systèmes postérieurs à Aristote trouvent en quelque sorte leurs fondements tout préparés dans le passé, qu’on rapproche Démocrite des Cyrénaïques et Héraclite des Cyniques ? Est-ce un hasard que, chez les épicuriens, les stoïciens et les sceptiques, tous les éléments de la conscience du moi soient représentés en totalité, mais chaque élément comme ayant une existence propre ? Que l’ensemble de ces systèmes forme la construction complète de la conscience ? Le caractère, enfin, par lequel la philosophie grecque débute, de façon mythique, avec les sept Sages, ce caractère qui s’incarne, pour ainsi dire comme le centre de cette philosophie, dans Socrate, son démiurge, je veux dire le caractère du sage, du σοφός (sophós), – est-ce fortuitement qu’il s’est affirmé dans ces systèmes comme la réalité de la science véritable ? Il me semble que, si les systèmes antérieurs sont plus significatifs et plus intéressants pour le fond de la philosophie grecque, les systèmes post-aristotéliciens, et principalement le cycle des écoles épicurienne, stoïcienne et sceptique, le sont davantage pour la forme subjective, le caractère de cette même philosophie. Or, c’est précisément la forme subjective, le support spirituel des systèmes philosophiques, que l’on a jusqu’ici presque entièrement oubliée pour ne considérer que leurs déterminations métaphysiques.

Je me réserve d’exposer, dans une étude plus développée, les philosophies épicurienne, stoïcienne et sceptique dans leur ensemble et leur rapport total avec la philosophie grecque antérieure et postérieure.

Il me suffira, pour le moment, de développer ce rapport en m’appuyant pour ainsi dire sur un exemple et en ne le considérant que sous un seul aspect, sa relation avec la spéculation antérieure.

Je choisis comme exemple le rapport entre la philosophie de la nature d’Épicure et celle de Démocrite. Je ne crois pas que ce point de départ soit le plus commode. D’une part, en effet, c’est un vieux préjugé, admis partout, d’identifier les physiques de Démocrite et d’Épicure jusqu’à ne voir dans les modifications introduites par Épicure que des idées arbitraires ; et je suis forcé, d’autre part, d’entrer, pour le détail, dans des micrologies apparentes. Mais, précisément parce que ce préjugé est aussi ancien que l’histoire de la philosophie, parce que les divergences sont assez cachées pour ne se révéler pour ainsi dire qu’au microscope, le résultat sera d’autant plus important, si nous réussissons à démontrer qu’en dépit de leur connexion il existe, entre les physiques de Démocrite et d’Épicure, une différence essentielle s’étendant jusqu’aux moindres détails. Ce qui peut se démontrer en petit se laisse montrer plus facilement encore quand on prend les rapports avec de plus grandes dimensions, tandis qu’inversement des considérations très générales laissent subsister un doute sur le point de savoir si le résultat se confirmera dans le détail.

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II. Jugements sur les rapports des physiques
démocritéenne et épicurienne.

Comment mes vues se déterminent en général par rapport aux précédentes, cela sautera aux yeux en passant rapidement en revue les jugements des anciens sur les rapports des physiques de Démocrite et d’Épicure.

Posidonius le stoïcien, Nicolaos et Sotion reprochent à Épicure d’avoir donné comme sienne la théorie de Démocrite sur les atomes et celle d’Aristippe sur le plaisir [9]. Cotta l’académicien demande chez Cicéron : « Que pourrait-il bien y avoir dans la physique d’Épicure qui n’appartint à Démocrite ? Il modifie bien quelques détails, mais la plupart du temps il ne fait que la répéter. » [10]

Et Cicéron dit lui-même :

« En physique, où il affiche le plus de prétentions, Épicure n’est qu’un parfait profane. La majeure partie appartient à Démocrite ; dès qu’il s’écarte de lui ou veut le corriger, il l’altère et le fausse. » [11]

Cependant, bien que beaucoup d’auteurs reprochent à Épicure d’avoir déclamé contre Démocrite, Léontius, d’après Plutarque, affirme au contraire qu’Épicure avait de l’estime pour Démocrite, parce que celui-ci avait, avant lui, professé la vraie doctrine et découvert antérieurement les principes de la nature. Dans le traité De placitis philosophorum, il est dit qu’Épicure fait de la philosophie d’après Démocrite. Plutarque, dans son Adversus Coloten, va plus loin. Comparant successivement Épicure avec Démocrite, Empédocle, Parménide, Platon, Socrate, Stilpon, les Cyrénaïques et les Académiques, il s’efforce de prouver « que, dans toute la philosophie grecque, Épicure s’est approprié le faux et n’a pas compris le vrai » [12] ; et le traité De eo quod secundum Epicurum non beate vivi possit fourmille d’insinuations malveillantes du même genre [13].

Cette opinion défavorable des auteurs anciens se retrouve chez les pères de l’Église. Je ne cite en note qu’un passage de Clément d’Alexandrie [14], un Père de l’Église qui mérite d’être, de préférence à tout autre, mentionné à propos d’Épicure parce que, interprétant les paroles où l’apôtre saint Paul met les fidèles en garde contre la philosophie en général, il en fait une mise en garde contre la philosophie d’Épicure, sous le prétexte que celle-ci n’a même pas fait entrer dans ses élucubrations la Providence, etc. [15] Mais la tendance que l’on avait en général de taxer Épicure de plagiat apparaît de la façon la plus frappante chez Sextus Empiricus, qui veut faire de quelques passages absolument inadéquats d’Homère et d’Épicharme les sources principales de la philosophie épicurienne. [16]

II est connu que, dans leur ensemble, les écrivains modernes font également d’Épicure, en tant que philosophe de la nature, un simple plagiaire de Démocrite. La parole ci-après de Leibniz peut représenter ici leur opinion en général :

« Nous ne savons presque de ce grand homme (Démocrite), que ce qu’Épicure en a emprunté, qui n’était pas capable d’en prendre toujours le meilleur.* » [17]

Ainsi donc, tandis que Cicéron reproche à Épicure de gâter la doctrine de Démocrite, mais lui laisse au moins la volonté de l’améliorer et la faculté d’en voir les défectuosités ; tandis que Plutarque le taxe d’inconséquence et d’un penchant prédéterminé pour le pire, et va jusqu’à suspecter ses intentions [18], Leibniz lui dénie jusqu’à la capacité de faire avec habileté des extraits de Démocrite.

Mais tous s’accordent à dire qu’Épicure a emprunté sa physique à Démocrite.

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III. Difficultés relatives à l’Identité des philosophies
démocritéenne et épicurienne de la nature.

En outre des témoignages historiques, bien des arguments plaident l’identité des physiques de Démocrite et d’Épicure. Les principes – atomes et vide – sont incontestablement les mêmes. Ce n’est qu’en certains détails qu’il semble y avoir une divergence arbitraire, donc accessoire.

Mais il reste alors une énigme singulière, insoluble. Deux philosophes enseignent absolument la même science, absolument de la même façon ; mais – quelle inconséquence ! – ils sont en opposition diamétrale pour tout ce qui concerne la vérité, la certitude, l’application de cette science, et, d’une manière générale, le rapport entre la pensée et la réalité. Je dis qu’ils sont en opposition diamétrale. C’est ce que je vais essayer de démontrer.

A. – Il semble difficile de fixer l’opinion de Démocrite sur la vérité et la certitude du savoir humain. Nous nous trouvons en présence de passages contradictoires ; ou plutôt, ce ne sont pas les passages, mais les idées de Démocrite, qui sont contradictoires. En effet, l’affirmation de Trendelenburg, dans son commentaire de la psychologie d’Aristote, que seuls les auteurs postérieurs relèvent cette contradiction, mais qu’Aristote l’ignore, est en fait inexacte. Il est dit, en effet, dans la Psychologie d’Aristote : « Démocrite considère l’âme et l’entendement comme une seule et même chose, le phénomène étant le vrai [19], et, dans la Métaphysique, nous lisons au contraire : « Démocrite prétend qu’il n’y a pas de vérité ou qu’elle nous est cachée. [20] » Ces passages d’Aristote ne sont-ils pas contradictoires ? Si le phénomène est le vrai, comment le vrai peut-il être caché ? Le fait d’être caché ne commence qu’au moment où phénomène et vérité se séparent. Or, Diogène Laërce rapporte qu’on a rangé Démocrite parmi les sceptiques. Il cite sa maxime : « En vérité, nous ne savons rien, car la vérité demeure au fond du puits. » [21] Des affirmations analogues se rencontrent chez Sextus Empiricus [22].

Cette opinion de Démocrite, sceptique, incertaine et au fond contradictoire avec elle-même, est simplement développée davantage dans la façon dont est déterminé le rapport de l’atome et du monde sensible.

D’une part, le phénomène sensible n’appartient pas aux atomes eux-mêmes. Ce phénomène n’est pas une apparition objective, mais une apparence subjective [23]. « Les principes véritables, ce sont l’atome et le vide ; tout le reste est opinion, apparence. [24] » – « Ce n’est que dans l’opinion qu’il existe du chaud, qu’il existe du froid ; en vérité, il n’y a que les atomes et le vide. [25] » Il ne résulte donc pas un objet de la pluralité des atomes, mais, « par la combinaison des atomes, tout objet paraît devenir un. [26] » Par conséquent, il ne faut considérer par la raison que les principes qui, à cause même de leur petitesse, sont inaccessibles à l’œil sensible ; c’est pourquoi on les appelle même idées [27]. Seulement, d’autre part, le phénomène sensible est le seul objet véritable, et l’αἲσθησις (aìsthesis) est φρόνησις (phrónesis) [28] : mais ce vrai est changeant, instable, phénoménal. Or, dire que le phénomène est le vrai est contradictoire [29]. À tour de rôle, chacun des deux côtés devient donc subjectif et objectif. La contradiction semble ainsi dissipée, parce qu’elle est répartie entre deux mondes. Démocrite réduit donc la réalité sensible à l’apparence subjective ; mais l’antinomie, bannie du monde des objets, existe dans sa propre conscience du moi, où le concept de l’atome et la perception sensible se rencontrent en ennemis.

Démocrite n’échappe donc pas à l’antinomie. Ce n’est pas encore ici le lieu de l’expliquer. Il suffit qu’on ne puisse en nier l’existence.

Écoutons par contre Épicure. « Le sage, dit-il, se comporte dogmatiquement et non pas sceptiquement [30] ». Bien mieux, ce qui lui assure précisément l’avantage sur tous, c’est de savoir avec conviction [31]. « Tous les sens sont des hérauts de la vérité. » [32] – « Rien ne peut réfuter la perception sensible ; ni le semblable le semblable, à cause de leur similitude de valeur, ni le dissemblable le dissemblable, car ils ne jugent pas du même objet, ni la raison, car la raison dépend des perceptions sensibles » [33], est-il dit dans le Canon. Mais, tandis que Démocrite réduit le monde sensible à l’apparence subjective, Épicure en fait un phénomène objectif. Et c’est sciemment qu’il se différencie sur ce point, car il prétend partager les mêmes principes, mais ne pas faire des qualités sensibles de simples opinions [34].

Une fois admis donc que la perception sensible fut le critérium d’Épicure et que le phénomène objectif y correspond, il faut bien considérer comme exacte la conséquence qui fait hausser les épaules à Cicéron :

« Le soleil paraît grand à Démocrite, parce qu’il est un savant parfaitement versé en géométrie ; il paraît à Épicure d’environ deux pieds de diamètre, car Épicure juge qu’il est aussi grand qu’il paraît. [35] »

B. – Cette différence dans les jugements théoriques de Démocrite et d’Épicure sur la certitude de la science et la vérité de ses objets, nous la trouvons réalisée dans l’énergie et la pratique scientifiques disparates de ces hommes.

Démocrite, pour qui le principe ne devient pas phénomène et reste sans réalité ni existence, a, par contre, en face de lui, comme monde réel et plein de contenu, le monde de la perception sensible. Ce monde est, à vrai dire, une apparence subjective, mais, par là même, détachée du principe et laissée dans sa réalité indépendante ; mais il est, en même temps, l’unique objet réel, et c’est à ce titre qu’il a valeur et signification. C’est pourquoi Démocrite est poussé à l’observation empirique. Ne trouvant pas sa satisfaction dans la philosophie, il se jette dans les bras de la connaissance positive. Nous avons vu plus haut que Cicéron l’appelle un homme cultivé, vir eruditus [36]. Il est versé en physique, en éthique, en mathématique, dans les disciplines encyclopédiques, dans toutes les sciences [37]. Le simple catalogue de ses livres, donné par Diogène Laërce, témoigne de son érudition [38]. Or, l’érudition a pour caractéristique de s’étendre en largeur, d’amasser et de faire des recherches au dehors ; aussi voyons-nous Démocrite parcourir la moitié du monde pour recueillir des expériences, des connaissances, des observations.

« De tous mes contemporains, se vante-t-il, c’est moi qui ai parcouru la plus grande partie de la terre et exploré les pays les plus lointains ; j’ai vu la plupart des climats et des pays, entendu les hommes les plus des savants, et dans la composition des figures avec démonstration personne ne m’a surpassé, pas même ceux que chez les Égyptiens on appelait les Arpedonaptes. » [39]

Demetrios dans les Ὁμωνύμοις (Homonumois) et Antisthènes dans les Διαδοχαῖς (Diadokhais) [40] rapportent qu’il se rendit en Égypte auprès des prêtres pour apprendre la géométrie, auprès des Chaldéens en Perse et qu’il poussa jusqu’à la Mer Rouge. D’aucuns affirment qu’il s’est également rencontré avec les gymnosophistes aux Indes [41] et qu’il est allé en Éthiopie [42]. Ce qui le pousse au loin, c’est, d’une part, le désir d’apprendre qui ne lui laisse ni cesse ni trêve, et c’est, d’autre part, le fait de ne pas trouver de satisfaction dans le savoir véritable, c’est-à-dire philosophique. La science qu’il tient pour vraie manque de contenu ; la science qui lui offre un contenu manque de vérité. Elle a beau être une fable, l’anecdote des anciens est une fable vraie, parce qu’elle exprime la contradiction de la nature de Démocrite : Démocrite se serait lui-même privé de la vue, pour que la lumière sensible n’obscurcit pas chez lui la pénétration de l’esprit [43]. C’est le même homme qui, d’après Cicéron, avait parcouru la moitié du monde. Mais il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait.

Une figure tout opposée nous apparaît dans Épicure. Il trouve sa satisfaction et sa félicité dans la philosophie.

« C’est la philosophie, dit-il, qu’il te faut servir pour que la vraie liberté soit ton partage. Il n’a pas à longtemps attendre, celui qui s’est soumis et donné à la philosophie ; il est immédiatement émancipé. Car c’est cela même : servir la philosophie, qui est la liberté. » [44] – « Que le jeune homme, enseigne-t-il en conséquence, n’hésite pas à philosopher et que le vieillard ne renonce pas à philosopher. Car nul n’est trop jeune, nul n’est trop mûr, pour recouvrer actuellement la santé de l’âme. Mais quiconque dit que le temps de philosopher n’est pas encore venu ou qu’il est passé, ressemble à celui qui prétend que le moment d’être heureux n’est pas encore venu ou qu’il est passé. » [45]

Tandis que Démocrite, la philosophie ne l’ayant pas satisfait, se jette dans les bras de la connaissance positive, Épicure méprise les sciences positives, parce qu’à son avis elles ne contribuent en rien à la perfection véritable [46]. On l’appelle ennemi de la science, contempteur de la grammaire [47]. On le taxe même d’ignorance ; « mais, dit un Épicurien chez Cicéron, ce n’est pas Épicure qui manquait d’érudition ; mais ceux-là sont des ignorants qui croient que ce qu’il est honteux pour l’enfant de ne pas savoir, le vieillard doit encore le ressasser. » [48]

Mais, tandis que Démocrite cherche à s’instruire auprès des prêtres égyptiens, des Chaldéens de la Perse et des gymnosophistes indiens, Épicure se vante de n’avoir pas eu de maître, d’être un autodidacte [49]. Certains, dit-il d’après Sénèque, poursuivent la vérité sans la moindre aide. C’est dans les rangs de ceux-ci qu’il s’est lui-même frayé son chemin. Et c’est de ceux-ci, les autodidactes, qu’il fait les plus grands éloges. Les autres, à l’en croire, ne seraient que des cerveaux de second plan [50]. Tandis que Démocrite est entraîné dans toutes les contrées du monde, c’est à peine si Épicure quitte deux ou trois fois son jardin d’Athènes et se rend en Ionie, non pour s’y livrer à des recherches, mais pour rendre visite à des amis [51]. Tandis qu’enfin Démocrite, désespérant de la science, s’ôte lui-même la vue, Épicure, sentant approcher l’heure de la mort, se met dans un bain chaud, réclame du vin pur et recommande à ses amis de rester fidèles à la philosophie [52].

C. – Les différences ci-dessus développées, il ne faut pas les attribuer à l’individualité accidentelle des deux philosophes ; ce sont deux tendances opposées qui prennent corps. Nous voyons comme différence d’énergie pratique ce qui, plus haut, se manifeste comme divergence de la conscience théorique.

Nous considérons enfin la forme de réflexion, qui exprime la relation de la pensée et de l’être, leur rapport réciproque. Dans la relation générale que le philosophe établit entre le monde et la pensée, il ne fait qu’objectiver pour lui-même le rapport de sa conscience particulière et du monde réel.

Or, comme forme de réflexion de la réalité, Démocrite emploie la nécessité [53]. Parlant de lui, Aristote dit qu’il ramène tout à la nécessité [54]. Diogène Laërce rapporte que le tourbillon des atomes, origine de tout, est la nécessité de Démocrite [55]. Des explications plus satisfaisantes nous sont fournies à ce sujet par l’auteur du De placitis philosophorum :

« La nécessité serait, d’après Démocrite, le destin et le droit, la providence et la créatrice du monde » ; mais « la substance de cette nécessité serait l’antitypie, le mouvement, l’impulsion de la matière. » [56]

Un passage analogue se trouve dans les Églogues physiques de Stobée [57] et au livre VI de la Praeparatio evangelica d’Eusèbe [58]. Dans les Églogues éthiques de Stobée se trouve conservée la sentence suivante de Démocrite [59], reproduite à peu près sous la même forme au livre XIV d’Eusèbe [60] : les hommes ont imaginé le fantôme du destin, manifestant ainsi leur propre perplexité, car le hasard [61] est en lutte avec une pensée forte. De même Simplicius rapporte à Démocrite un passage où Aristote parle de la vieille doctrine qui supprime le hasard [62].

Épicure écrit au contraire :

« La nécessité, dont certains font la maîtresse absolue, n’est pas ; il est quelques choses fortuites, d’autres dépendent de notre arbitraire. La nécessité est impossible à persuader, le hasard, au contraire, est instable. Il vaudrait mieux suivre le mythe relatif aux dieux que d’être esclave de l’εἱμαρμένη (heimarménè) [63] des physiciens. Car le premier laisse l’espoir de la miséricorde pour avoir honoré les dieux ; mais la seconde n’est que l’inexorable nécessité. Mais c’est le hasard qu’il faut admettre, et non pas la divinité, comme la foule le croit. » [64] « C’est un malheur de vivre dans la nécessité, mais vivre dans la nécessité n’est pas une nécessité. Partout sont ouvertes les voies qui mènent à la liberté, nombreuses, courtes, aisées. Remercions donc les dieux que personne ne puisse être retenu en vie. Dompter la nécessité elle-même est chose permise. » [65]

L’épicurien Velléius s’exprime de même, chez Cicéron, à propos de la philosophie stoïcienne : « Que penser d’une philosophie pour laquelle, comme pour les vieilles femmes ignorantes, tout semble arriver grâce au fatum ?... Épicure nous a émancipés et mis en liberté. » [66]

C’est ainsi qu’Épicure nie jusqu’au jugement disjonctif, afin de n’être pas contraint de reconnaître une nécessité quelconque [67].

On prétend aussi, il est vrai, que Démocrite a fait intervenir le hasard ; mais des deux passages qui, chez Simplicius [68], se rencontrent à ce sujet, l’un rend l’autre suspect, car il montre jusqu’à l’évidence que ce n’est pas Démocrite qui a fait usage des catégories du hasard, mais Simplicius qui les lui a attribuées comme conséquence. Il dit, en effet, que Démocrite n’indique aucune raison de la création en général, et qu’il semble donc faire du hasard cette raison. Mais il ne s’agit pas en ce passage de la détermination du contenu, mais de la forme que Démocrite a consciemment employée. Il en va de même du témoignage d’Eusèbe : Démocrite aurait érigé le hasard en maître absolu de l’universel et du divin et prétendu qu’ici il régit tout, tandis qu’il l’aurait écarté de la vie humaine et de la nature empirique et traité d’insensés les partisans du hasard [69].

Nous avons, dans ces affirmations, pour une part, simplement un désir de l’évêque chrétien Denys de forcer les conclusions, et, pour une autre part, là où commencent l’universel et le divin, le concept démocritéen de la nécessité cesse d’être distinct de celui du hasard.

Un point est donc historiquement certain : Démocrite fait intervenir la nécessité, Épicure le hasard, et chacun d’eux repousse avec l’âpreté de la polémique l’opinion contraire à la sienne.

La conséquence la plus importante de cette différence se montre dans la façon d’expliquer les divers phénomènes physiques.

La nécessité apparaît, en effet, dans la nature finie comme nécessité relative, comme déterminisme [70]. La nécessité relative ne peut être déduite que de la possibilité réelle, c’est-à-dire c’est un ensemble de conditions, de causes, de motifs, etc., qui servent d’intermédiaire à cette nécessité. La possibilité réelle est l’explication de la nécessité relative. Et nous la trouvons employée par Démocrite. Nous citons à l’appui quelques passages empruntés à Simplicius.

Qu’un homme soit altéré, qu’il boive et qu’il guérisse, ce n’est pas le hasard que Démocrite donnera comme cause, mais la soif. En effet, bien qu’il ait eu l’air, à propos de la création du monde, de faire intervenir le hasard, il affirme cependant que, dans les cas particuliers, il n’est la cause de rien, et il ramène à d’autres causes. C’est ainsi, par exemple, que l’action de creuser la terre est la cause de la découverte d’un trésor et la croissance la cause de l’olivier [71].

L’enthousiasme et le sérieux avec lesquels Démocrite introduit ce mode d’explication dans l’étude de la nature, l’importance qu’il attache à la théorie de la recherche des causes s’expriment avec naïveté dans cette déclaration :

« J’aime mieux trouver une nouvelle étiologie que de ceindre la couronne royale de Perse. » [72]

Une fois de plus, Épicure est directement opposé à Démocrite. Le hasard est une réalité qui n’a que la valeur de la possibilité ; mais la possibilité abstraite est précisément l’antipode de la possibilité réelle. Cette dernière est enfermée dans des limites précises, comme l’intellect ; l’autre ne connaît pas de limites, comme l’imagination. La possibilité réelle cherche à démontrer la nécessité et la réalité de son objet ; la possibilité abstraite ne s’occupe pas de l’objet qui est expliqué, mais du sujet qui explique. Ce qu’il faut simplement, c’est que l’objet soit possible, concevable. Ce qui est possible abstraitement, Ce qui peut être conçu, ne constitue pour le sujet pensant ni un obstacle, ni une limite, ni une pierre d’achoppement. Peu importe que cette possibilité soit également réelle, car l’intérêt ne se porte pas ici sur l’objet comme tel.

Épicure procède donc avec une nonchalance sans bornes dans l’explication des divers phénomènes physiques.

Ceci ressortira plus nettement de la Lettre à Pythoclès que nous examinerons plus loin. Il nous suffira ici de faire remarquer son attitude vis-à-vis des opinions des physiciens antérieurs. Dans les passages où l’auteur du De placitis philosophorum et Stobée citent les diverses opinions des philosophes sur la substance des astres, la grandeur et la figure du soleil, etc., il est toujours dit d’Épicure : Il ne rejette aucune de ces opinions, toutes pouvant être exactes, car il s’en tient au possible [73]. Bien plus, Épicure polémique même contre le mode d’explication par la possibilité réelle qui, pour ses déterminations, fait appel à la raison et est donc précisément, par là même, unilatéral.

C’est ainsi que Sénèque dit dans ses Quaestiones naturales : Épicure prétend que toutes ces causes peuvent exister, et essaie, en outre, maintes autres explications ; il critique ceux qui soutiennent que l’une quelconque de ces causes est la bonne ; car c’est de la témérité que de porter un jugement apodictique sur ce qui ne peut, se déduire que de conjectures [74].

On le voit, il n’y a point d’intérêt à rechercher les causes réelles des objets. Il ne s’agit que de tranquilliser le sujet qui explique. Du moment que tout le possible est admis comme possible, ce qui répond au caractère de la possibilité abstraite, il est évident que le hasard de l’être est simplement traduit dans le hasard de la pensée. L’unique règle prescrite par Épicure, « que l’explication ne doit pas être en contradiction avec la perception sensible » s’entend d’elle-même ; car le possible abstrait consiste précisément dans le fait d’être exempt de contradiction ; c’est pourquoi il faut éviter la contradiction [75]. Enfin Épicure avoue que son mode d’explication ne se propose que l’ataraxie de la conscience de soi, et non la connaissance de la nature en soi et pour soi [76].

Nous n’avons probablement pas besoin d’exposer longuement qu’ici encore il se trouve en opposition absolue avec Démocrite.

Nous voyons donc que les deux hommes s’opposent pas à pas. L’un est sceptique, l’autre dogmatique ; l’un tient le monde sensible pour une apparence subjective, l’autre pour un phénomène objectif. Celui qui tient le monde sensible pour une apparence objective s’adonne à la science empirique de la nature et aux connaissances positives, et représente l’inquiétude de l’observation qui expérimente, apprend partout et parcourt le monde. L’autre, qui tient pour réel le monde phénoménal, méprise l’empirisme ; le calme de la pensée qui trouve sa satisfaction en elle-même, l’indépendance qui puise son savoir ex principio interno, sont incarnés en lui. Mais la contradiction va plus loin encore. Le sceptique et empirique, qui tient la nature sensible pour une apparence subjective, la considère au point de vue de la nécessité et cherche à expliquer et à comprendre l’existence réelle des choses. Le philosophe et dogmatique, au contraire, qui tient le phénomène pour réel, ne voit partout que du hasard, et son mode d’explication tend plutôt à supprimer toute réalité objective de la nature. Ces contradictions semblent renfermer une certaine absurdité.

Mais à peine peut-on encore présumer que ces hommes, partout en contradiction, s’attacheront à une seule et même doctrine. Et cependant ils semblent enchaînés l’un à l’autre.

Étudier leur relation générale, tel est l’objet du prochain chapitre. [77]


Karl Marx, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et chez Épicure (deuxième partie)

Notes

[1] NDLE : Dédicace de Karl Marx à son futur beau-père.

[2] NDLE : Pierre Gassendi, Animadversiones in decimum librum Diogenis Laertii, qui est De Vita, Moribus, Placitisque Epicuri, Lyon, 1649.

[3] NDLE : Marx n’a pas donné suite à ce projet.

[4] NDLE : Les mots ou expressions en français dans le texte sont composés en italiques et suivis d’un astérisque.

[5] NDLE : Friedrich der Grosse und seine Widersacher (Frédéric le Grand et ses adversaires), Leipzig, 1840 : « Épicurisme, stoïcisme et scepticisme sont les muscles nerveux et le système des entrailles de l’organisme antique, dont l’unité immédiate, naturelle, a conditionné la beauté et la moralité de l’antiquité, et qui s’est désagrégé avec la décrépitude de celle-ci » (p. 39). Friedrich Köppen avait dédié son ouvrage à Karl Marx.

[6] NDLE : David Hume, Traité de la nature humaine. Livre I « De l’entendement », Quatrième partie, section 5, « De l’immatérialité de l’âme ».

[7] NDLE : Lettre d’Épicure à Ménécée, in Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, X.

[8] NDLE : Cette citation et la précédente sont tirées du Prométhée enchaîné d’Eschyle (vers 965-966 et 956-959).

[9] Diogène Laërce, Vies, X, 4.

[10] Cicéron, De Natura Deorum (De la Nature des dieux), I, xxvi [73].

[11] Cicéron, De Finibus bonorum et malorum (Des finalités des biens et des maux), I, iv [21] et [17]-[18].

[12] Plutarque, Contre Colotès, [1112-1120] et sqq.

[13] NDLE : Marx cite ici probablement de mémoire le titre de Plutarque, dont la traduction latine courante (celle d’Henri Estienne, 1572), est Non posse suaviter vivi secundum Epicurum, « on ne peut vivre agréablement selon Épicure ».

[14] Clément d’Alexandrie, Stromates, liv. VI : « Épicure a aussi volé ses dogmes principaux à Démocrite » [livre VI, chap. ii, 24].

[15] Clément d’Alexandrie, Id., « “Prenez garde qu’il ne se trouve quelqu’un pour vous réduire en esclavage par le vain leurre de la “philosophie” selon une tradition toute humaine, selon les éléments du monde, et non selon le Christ” (Épître aux Colossiens, 2:8)... désignant non toute philosophie, mais l’épicurienne, que Paul mentionne dans les Actes des apôtres (17:18), qui abolit la providence (...) et toute autre philosophie qui idolâtre les éléments, au lieu de placer au-dessus d’eux la cause efficiente, et ignore le Créateur » [Stromates, Livre I, chap. xi, 50, 5 et 6].

[16] Sextus Empiricus, Contre les professeurs [I, 273]. Épicure a été reconnu coupable d’avoir volé le meilleur de ses dogmes aux poètes. Car il a été démontré qu’il avait pris sa définition de l’intensité des plaisirs – qui est « la suppression de toute douleur », – de ce vers : « Et quand ils ont chassé la soif et l’appétit » (Homère, Iliade, I, 469). Et à propos de la mort, qu’« elle n’est rien pour nous », Épicharme le lui avait déjà indiqué en disant : « Mourir ou être mort ne me concerne pas ». Il vola également l’idée que les corps morts n’avaient pas de sensation à Homère, qui écrit : « Car c’est une argile insensible qu’il [Achille] outrage dans sa fureur » (Iliade, XXIV, 54).

[17] Lettre de Leibniz à M. Des Maizeaux, 8 juillet 1711, in [Opera omnia] ed. L. Dutens, Vol. 2, pp. 66-67. NDLE : Probablement cité de mémoire (en français dans le texte), l’édition Dutens donnant : « De ce grand homme, nous ne savons guère que ce que lui a emprunté Épicure, qui n’était pas capable de prendre toujours le meilleur. »

[18] Plutarque, Contre Colotès, [1111] « Démocrite est donc répréhensible, non pour avouer les conséquences de ces principes, mais pour avoir admis des principes qui donnent lieu à de telles conséquences. (...) Car c’est ainsi qu’en détruisant l’idée de la Providence, il dit qu’il conserve la piété envers les dieux ; qu’en ne cherchant dans l’amitié d’autre fin que la volupté, il veut cependant qu’on supporte pour ses amis les douleurs les plus cruelles ; qu’en supposant l’univers infini, il lui laisse un espace supérieur et un espace inférieur. »

[19] Aristote, De l’âme, I, 2, §5 (404a) : « Démocrite identifie absolument (ἁπλῶς) âme et entendement (ψυχὴν καὶ νοῦν), puisque selon lui, le vrai est le phénomène (τὸ φαινόμενον) ».

[20] Aristote, Métaphysique, Γ, 5, §§8-9 (1009b) : « C’est pourquoi Démocrite dit que, de toute façon, il n’y a rien de vrai, ou que la vérité, du moins, ne nous est pas accessible. – Et, en général, c’est parce qu’ils [ces philosophes] supposent la pensée à la sensation, et celle-ci étant une altération, que ce qui apparaît aux sens est nécessairement, selon eux, la vérité. C’est en effet pour ces raisons qu’Empédocle, que Démocrite, et pour ainsi dire tous les autres sont tombés dans de telles opinions. C’est ainsi qu’Empédocle dit que, quand on change d’état (ἕξιν), on change de pensée (φρόνησιν) ». [Karl Marx ajoute :] Ainsi la contradiction est-elle exprimée dans ce passage même de la Métaphysique.

[21] Diogène Laërce, Vies, IX, 72 : « Bien plus, suivant ceux dont nous parlons, Xénophane, Zénon d’Élée et Démocrite ont été eux-mêmes philosophes sceptiques. (...) Démocrite [dit] : « en réalité nous ne savons rien, car la vérité est au fond d’un puits ».

[22] Ritter, Geschichte der alten Philosophie [Histoire de la philosophie ancienne], t. I, p. 579 sq.

[23] NDLE : le texte allemand écrit : « Nicht objektive Erscheinung ist sie, sondern subjektiver Schein. »

[24] Diogène Laërce, Vies, IX, 44.

[25] Diogène Laërce, Vies, IX, 72.

[26] Simplicius, Schol. in Arist.

[27] Plutarque, Contre Colotès, p. 1111.

[28] NDLE : L’aìsthesis est phrónesis : la « sensation » est « sagesse pratique ».

[29] Cf. Aristote, loc. cit.

[30] Diogène Laërce, Vies, X, 124 : « δογματιεῖν τε καὶ οὐκ ἀπορήσειν ».

[31] Plutarque, Contre Colotès, [1117] : « C’est un des dogmes d’Épicure que personne, le sage seul excepté, ne doit s’attacher à une opinion au point de ne jamais en revenir ».

[32] Cicéron, De Nat. Deor. I, xxv [70]. Cf. Id. De Finibus, I, vii, et [Plutarque], De Placitis philosophorum, IV, ix [899f] : « Épicure tient que [les sensations et les imaginations] sont toujours vraies ».

[33] Diogène Laërce, Vies, X, 31 : « Donc, dans le Canon, Épicure affirme qu’il y a trois critères de la vérité : les sensations, les anticipations et les affections... » 32 : Il n’y a rien non plus qui puisse réfuter une sensation ou la convaincre d’erreur : « une sensation semblable ne peut réfuter une autre sensation, parce qu’elles ont une force égale ; non plus qu’une sensation hétérogène n’en peut rectifier une semblable, parce que les objets dont elles jugent ne sont pas les mêmes. [...] On ne peut pas même dire que la raison conduise les sens, puisqu’elle dépend d’eux. »

[34] Plutarque, Contre Colotès, [1110-1111] : « [Colotès] attribue à Démocrite d’avoir dit que c’est par des lois de convention que nos sens distinguent la couleur, la douceur et l’amertume. Et il ajoute que celui qui soutient cette opinion ne peut pas s’assurer lui-même s’il existe et s’il vit. Je n’ai rien à opposer à cette assertion ; mais ce que je puis dire, c’est que cette opinion est aussi intimement liée aux dogmes d’Épicure que la figure et la pesanteur sont, suivant les épicuriens mêmes, inséparables des atomes. En effet, que dit Démocrite ? Qu’il y a des substances infinies en nombre, indivisibles, impassibles, qui sont sans différence, sans qualité, qui se meuvent dans le vide, où elles sont disséminées ; que lorsqu’elles s’approchent les unes des autres, qu’elles s’unissent et s’entrelacent, elles forment, par leur agrégation, de l’eau, du feu, une plante ou un homme ; que toutes ces substances, qu’il appelait atomes, étaient de pures formes [ou : atomes, “idées”, comme il les appelle], et rien autre chose. Car on ne peut rien produire de ce qui n’existe pas, et ce qui est ne peut rentrer dans le néant, parce que les atomes, à raison de leur solidité, ne peuvent éprouver ni changement ni altération. Ainsi on ne peut faire une couleur de ce qui est sans couleur, ni une substance ou une âme de ce qui est sans âme et sans qualité. [...] Démocrite est donc répréhensible, non pour avouer les conséquences de ces principes, mais pour avoir admis des principes qui donnent lieu à de telles conséquences. » ... Épicure soutient les mêmes principes [que Démocrite, NDLE], mais il ne dit pas qu’il n’y ait de couleurs « que par convention », et ainsi des autres qualités.

[35] Cicéron, De Finibus, I, vi, [20] : « Démocrite, qui était habile en géométrie, croit que le soleil est d’une grandeur immense ; [Épicure] lui donne environ deux pieds, et il le juge tel que nous le voyons, un peu plus ou un peu moins grand ». Cf. [Plutarque], De Placitis philosophorum, II.

[36] NDLE : homme érudit, savant...

[37] Diogène Laërce, Vies, IX, 37 : « [Démocrite] entendait la physique, la morale, les humanités, les mathématiques, et avait beaucoup d’expérience dans les arts. »

[38] Diogène Laërce, Vies, IX, 46-49.

[39] Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, X, iv : « Lorsque parlant de lui-même avec orgueil, il [Démocrite] dit : “De tous mes contemporains, c’est moi qui ai parcouru la plus grande partie de la terre, exploré les pays les plus lointains ; j’ai vu la plupart des climats et des pays, entendu les hommes les plus savants, et dans la composition des figures avec démonstration personne ne m’a surpassé, pas même ceux que chez les Égyptiens on appelait les Arpedonaptes, ayant consacré quatre-vingts ans de ma vie à visiter l’étranger”. En effet, il avait parcouru la Babylonie, la Perse et l’Égypte, où il fut l’élève des prêtres. NDLE : Arpédonaptes, ou harpédonaptes : « noueurs de cordeaux », arpenteurs ou « géomètres » de l’Égypte ancienne, leur présence (en tant que fonctionnaires royaux) sur les chantiers de construction est attestée dans les textes et représentations (peintes ou sculptées).

[40] NDLE : Homonymes : il s’agit d’un ouvrage (perdu) consacré aux auteurs de même nom. Quant aux Diadokhai, ou Successions, il s’agit d’un ouvrage concernant les successions de philosophes des différentes écoles (attribué à Antisthène de Rhodes, mais l’ouvrage de Démétrios ayant été perdu...).

[41] NDLE : Gymnosophistes aux Indes : une tradition assimile ces gymnosophistes aux yogi de l’Inde ancienne (le recueil d’aphorismes qui composent le Yoga-Sûtra remonte approximativement au iie siècle, mais renvoie probablement à une pratique et à une transmission orale plus ancienne, qui peut être contemporaine de Démocrite).

[42] Diogène Laërce, Vies, IX, 35 : « Demetrios, dans son livre des Homonymes, et Antisthène dans ses Successions, disent qu’il alla trouver en Égypte les prêtres de ce pays, qu’il apprit d’eux la géométrie, qu’il se rendit en Perse auprès des philosophes chaldéens, et pénétra jusqu’à la mer Rouge. Il y en a qui assurent qu’il passa dans les Indes, qu’il conversa avec des gymnosophistes, et fit un voyage en Éthiopie. »

[43] Cicéron, Tusculanes, V, xxxix : Lorsque Démocrite perdit la vue... « Ce grand homme croyait même que la vue était un obstacle aux opérations de l’âme ; et en effet, tandis que les autres voyaient à peine ce qui était à leurs pieds, son esprit parcourait l’univers, sans trouver de borne qui l’arrêtât. » Id., De Finibus, V, xxix, rapporte que Démocrite s’est crevé les yeux ; « que ce fait soit vrai au non, il est certain [qu’il la fait] pour être le moins possible détourné de ses profondes méditations. »

[44] Sénèque, Lettres à Lucilius, VIII, 26 : « c’est encore Epicure que je feuillette [...] Fais-toi l’esclave de la philosophie, pour jouir de la vraie liberté. Elle n’ajourne pas celui qui se soumet, qui se livre à elle. Il est tout d’abord affranchi ; car le service de la philosophie c’est la liberté. »

[45] Diogène Laërce, Vies, X, 122 : « Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme. Tel, qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en biens par esprit de gratitude à l’égard du passé. Le premier pour que jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l’égard de l’avenir. » Cf. Clément d’Alexandrie, IV, 501.

[46] Sextus Empiricus, Contre les professeurs, I, 1.

[47] Ibid., p. [I, 491] et [I, 272]. Cf. Plutarque, Non posse suaviter vivi secundum Epicurum, 1094.

[48] Cicéron, De Finibus, I, xxi.

[49] Diogène Laërce, Vies, X, 13 : « Apollodore dit dans ses Chroniques qu’il fut élève de Nausiphane et de Praxiphane ; mais dans sa lettre à Euryloque, Épicure le nie et affirme s’être élevé lui-même. » Cicéron, De Nat. Deor., I, xxvi, « puisqu’il [Épicure] se vante lui-même dans ses écrits de n’avoir pas eu de maître. Je le croirais volontiers, même s’il ne le disait pas... »

[50] Sénèque, Lettres à Lucilius, LII, 41-42 : « Certains hommes, dit Épicure, cheminent, sans que nul les aide, vers la vérité ; et il se donne comme tel, comme s’étant tout seul frayé la route. Il les loue sans réserve d’avoir pris leur élan, de s’être produits par leur propre force. D’autres, ajoute-t-il, ont besoin d’assistance étrangère ; ils ne marcheront pas qu’on ne les précède, mais ils sauront très-bien suivre ; et il cite Métrodore parmi ces derniers. Ce sont de beaux génies encore, mais de second ordre. »

[51] Diogène Laërce, Vies, X, 10 : « Malgré les troubles qui affligèrent alors la Grèce, il y passa toute sa vie ; il n’alla que deux ou trois fois en Ionie pour rendre visite à des amis. Il lui en venait cependant de partout pour vivre avec lui dans son jardin, dont Apollodore rapporte qu’il l’avait acquis pour quatre-vingt mines. »

[52] Id., X, 15-16 : « Hermippe dit qu’il se mit dans une baignoire de bronze remplie d’eau chaude et demanda qu’on lui donnât du vin pur, qu’il but. Il exhorta ses amis présents à ne jamais oublier sa doctrine, et expira. »

[53] Cicéron, De Fato, X [22, 23] : « Épicure [pense] pouvoir échapper à la nécessité [....] Démocrite [préfère] soumettre toutes choses à la fatalité. » Id., De Nat. Deor., I, xxv [69] : « [Épicure] trouva le moyen d’échapper à cette nécessité (ce que Démocrite, de toute évidence, avait évité) ». Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, I, viii : « Démocrite d’Abdère [dit que] toutes les choses passées, présentes et futures, sont de toute éternité soumises aux lois de la nécessité. »

[54] Aristote, De la Génération des animaux, V, 8, 789b2-3 : « Democrite... rapporte à la nécessité tous les procédés de la nature ».

[56] -[Plutarque], Opinions des philosophes, I, xxv (884e) : « Parménide et Démocrite [disent] que toutes choses se font par nécessité, et qu’elle est la même chose que le destin, la justice, la providence et la créatrice du monde » et xxvi (884f) : « [la substance de la nécessité selon Démocrite], c’est l’antitypie, l’action et l’impulsion de la matière. »

[57] Stobée, Églogues physiques, I, 8.

[58] Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, VI, vii : « [Fatalité que Démocrite] fait dériver [...] de divers accidents, de ces petits atomes répandus dans l’espace, où ils s’élèvent, s’abaissent, se choquent et se séparent, s’unissent, se désunissent au gré de la nécessité. »

[59] Stobée, Églogues éthiques, II, 4.

[60] Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, XIV, xxvii : « ainsi [Démocrite] établissait-il le hasard pour souverain et roi de tout ce qui existe, même du divin, en montrant que rien ne se faisait que par lui ; et cependant il voulait le bannir, ce hasard, du commerce des hommes et de la vie commune, et traitait d’insensés tous ses adorateurs. Il dit au début de son enseignement : “les hommes ont créé eux-mêmes l’illusion du hasard pour excuser leur déraison : la prudence étant en effet l’ennemi du hasard, ils veulent que règne le plus fort adversaire de la prudence ; ou plutôt, ils voudraient la renverser et faire disparaître pour la remplacer par le hasard. Car ce n’est pas la prudence qu’ils valorisent, mais le hasard comme s’il était le plus raisonnable.” »

[61] NDLE : Le terme allemand est ici Zufall.

[62] Simplicius, loc. cit.

[63] NDLE : Heimarménè : ce qui a été « décrété », le destin.

[64] Diogène Laërce Vies, X, 133, 134.

[65] Sénèque, Lettres à Lucilius, XII.

[66] Cicéron, De Nat. Deor., I, xx.

[67] Cicéron, De Nat. Deor., I, xxv, [70] : « De même dans sa controverse avec les logiciens : selon eux dans toutes les propositions disjonctives, où il est dit qu’une chose est ou qu’elle n’est pas, il faut que l’une des deux thèses soit vraie, mais Épicure a craint qu’en appliquant ce principe à une disjonction telle que celle-ci : demain, ou bien Épicure sera en vie ou bien il ne sera plus en vie, il en résultât que l’événement à venir, quel qu’il soit, est nécessaire. Il a donc rejeté le principe suivant lequel une chose est ou n’est pas. »

[68] Simplicius, loc. cit.

[69] Eusèbe de Césarée, loc. cit. : « partant d’une supposition erronée et d’un principe imaginaire, n’attribuant qu’au hasard la cause des êtres que le hasard ne saurait produire, il [Démocrite] était convaincu que la plus grande sagesse consistait à avoir imaginé le concours fortuit d’atomes dépourvus de prudence et de jugement, ne voyant pas le fondement et la nécessité universelle de la nature où ils sont ».

[70] NDLE : Le terme allemand est ici Determinismus.

[71] Simplicius, loc. cit.

[72] Eusèbe de Césarée, loc. cit.

[73] -[Plutarque], De Placitis philosophorum, II, xiii (889a) : « Épicure ne rejette aucune de celles-ci [Marx ajoute : c’est-à-dire les opinions des philosophes sur la substance des astres], il s’en tient au possible. ». Ibid., II, xxi (890c), et xxii (890d) : « Épicure regarde ces opinions pour vraisemblables ». Stobée, Églogues Physiques, I : « Épicure ne rejette aucune de ces opinions et s’en tient au possible. »

[74] Sénèque, Questions naturelles, VI, xx : « Épicure admet la possibilité de toutes ces causes, et en propose plusieurs autres : il blâme ceux qui se prononcent pour une seule, vu qu’il est téméraire de donner comme certain ce qui ne peut être qu’une conjecture ».

[75] Cf. IIe partie, chapitre 5. Diogène Laërce, Vies, X, 88 : « Il faut cependant observer chaque phénomène tel qu’il se présente, et ensuite tous ceux qui se présentent avec lui et qui peuvent sans contradiction avec les faits de notre expérience recevoir plusieurs explications. »

[76] Diogène Laërce, Vies, X, 80 : « Il faut d’abord penser que l’étude de ces matières n’a pas d’autre but que celle des autres phénomènes, qu’on les étudie pour eux-mêmes ou en relation avec d’autres ; leur connaissance n’a d’autre but que notre tranquillité (ataraxia) et notre bonheur. »

[77] NDLE : Ce chapitre, intitulé d’après le manuscrit « Différence générale entre les principes des philosophies démocritéenne et épicurienne de la nature », a été perdu, ainsi que le suivant et dernier de la première partie, « Résultat ».


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