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Karl Marx | Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et chez Épicure (2e partie)

Traduction française J. Molitor, révisée et annotée par la S.C.P.

jeudi 29 janvier 2009, par Secrétariat


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DEUXIÈME PARTIE
Différence, au point de vue particulier,
des physiques démocritéenne et épicurienne

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Chapitre premier
La déclinaison des atomes de la ligne droite

Épicure admet un triple mouvement des atomes dans le vide [1]. Le premier mouvement est celui de la chute en ligne droite ; le second se produit parce que l’atome dévie de la ligne droite ; et le troisième est dû à la répulsion des nombreux atomes. Dans l’admission du premier il du troisième mouvement, Épicure est d’accord avec Démocrite ; ce qui les différencie, c’est la déclinaison de l’atome de la ligne droite. [2]

On a beaucoup plaisanté ce mouvement de déclinaison. Cicéron surtout est intarissable quand il aborde ce thème. C’est ainsi qu’il écrit par exemple :

« Épicure prétend que les atomes sont poussés, par leur poids, de haut en bas en ligne droite ; que ce mouvement est le mouvement naturel des corps. Mais il réfléchit ensuite que, si tous étaient poussés de haut en bas, jamais un atome n’en rencontrerait un autre. Notre homme eut donc recours à un mensonge. Il prétendit que l’atome déclinait un tout petit peu, ce qui est d’ailleurs absolument impossible. C’est de là que proviendraient les rapprochements, les copulations et les adhérences des atomes entre eux, et, de là, le monde et toutes les parties du monde et tout ce qui existe dans le monde. Outre que cette invention est puérile, Épicure n’arrive même pas à ce qu’il veut. » [3]

Nous trouvons une autre formule chez Cicéron, au livre I du traité Sur la nature des dieux :

« Après avoir compris que, si les atomes étaient portés de haut en bas par leur propre poids, rien ne serait en notre pouvoir, leur mouvement étant déterminé et nécessaire, Épicure inventa, ce qui avait échappé à Démocrite, le moyen de se soustraire à la nécessité. Il dit que l’atome, bien que poussé de haut en bas par son poids et la pesanteur, décline un tout petit peu. Affirmer pareille chose, voilà qui est plus honteux que de ne pouvoir défendre ce qu’il veut. » [4]

Pierre Bayle juge de même :

« Avant lui (Épicure), on n’avait admis dans les atomes que le mouvement de la pesanteur et celui de la réflexion.... Épicure supposait que même au milieu du vide les atomes déclinaient un peu de la ligne droite, et de là venait la liberté, disait-il... Remarquons en passant, que ce ne fut pas le seul motif qui le porta à inventer ce mouvement de déclinaison ; il le fit servir aussi à expliquer la rencontre des atomes ; car il vit bien qu’en supposant qu’ils se mouvaient tous avec une égale vitesse par des lignes droites qui tendaient toutes de haut en bas, il ne ferait jamais comprendre qu’ils eussent pu se rencontrer, et qu’ainsi la production du monde eût été impossible. Il fallut donc qu’il supposât qu’ils s’écartaient de la ligne droite. » [5]

Je néglige, pour le moment, le caractère concis de ces réflexions. Ce que chacun pourra noter en passant, c’est que Schaubach, le critique le plus récent d’Épicure, a mal compris Cicéron, quand il dit que « les atomes sont tous poussés par la pesanteur de haut en bas, par conséquent, pour des raisons physiques, parallèlement, mais que, par une répulsion réciproque, ils acquièrent un autre mouvement, d’après Cicéron (De natura deorum, I, xxv) un mouvement oblique, grâce à des causes fortuites, et cela de toute éternité. » [6] En premier lieu, dans le passage cité, Cicéron ne fait pas de la répulsion la cause de la direction oblique, mais, au contraire, de la direction oblique la cause de la répulsion. En second lieu, il ne parle pas de causes fortuites ; Il critique, au contraire, qu’on n’indique pas de cause du tout ; il serait d’ailleurs contradictoire en soi d’admettre à la fois la répulsion et néanmoins des causes fortuites comme cause de la direction oblique. Tout au plus pourrait-il être question, dans ce cas, de causes fortuites de la répulsion, mais non de causes fortuites de la direction oblique.

Dans les réflexions de Cicéron et de Bayle, il y a d’ailleurs une singularité trop évidente pour ne pas la signaler immédiatement. Ils prêtent, en effet, à Épicure des motifs dont l’un supprime l’autre. D’une part Épicure admettrait la déclinaison des atomes pour expliquer la répulsion, et d’autre part la répulsion pour expliquer la liberté. Mais, si les atomes ne se rencontrent pas sans déclinaison, la déclinaison est superflue comme cause de la liberté, car le contraire de la liberté ne commence, ainsi que nous l’apprenons par Lucrèce [7], qu’avec la rencontre déterministe et forcée des atomes. D’autre part, si les atomes se rencontrent sans déclinaison, celle-ci est superflue comme cause de la répulsion. Je prétends que cette contradiction se produit, si les causes de la déclinaison de l’atome de la ligne droite sont prises de façon aussi superficielle et illogiques que chez Cicéron et Bayle. Nous trouverons chez Lucrèce, le seul au reste de tous les anciens qui ait compris la physique d’Épicure, un exposé qui va plus au fond des choses.

Nous abordons maintenant l’examen de la déclinaison elle-même.

De même que le point est supprimé [Aufgehoben] dans la ligne, tout corps qui tombe est supprimé dans la ligne droite qu’il décrit. Sa qualité spécifique n’importe pas du tout ici. Dans sa chute, une pomme décrit aussi bien une ligne verticale qu’un morceau de fer. Tout corps, en tant qu’il est considéré dans le mouvement de chute, n’est donc rien autre qu’un point qui se meut, un point sans autonomie qui, dans un certain mode d’être, – la ligne droite qu’il décrit, – renonce à son individualité. C’est pourquoi Aristote observe à juste raison contre les Pythagoriciens : « Vous dites que le mouvement de la ligne est la surface et celui du point la ligne ; par conséquent, les mouvements des monades seront également des lignes. [8] » La conséquence, pour les monades aussi bien que pour les atomes, en serait donc que la monade et l’atome, étant en perpétuel mouvement [9], n’existent pas, mais se perdent au contraire dans la ligne droite ; car la solidité de l’atome n’existe pas du tout encore, tant qu’on le conçoit uniquement comme tombant en ligne droite. Tout d’abord, si l’on représente le vide dans l’espace, l’atome est la négation immédiate de l’espace abstrait, donc un point dans l’espace. La solidité, l’intensité, qui s’affirment contre l’incohésion de l’espace en soi, ne peuvent s’ajouter que grâce à un principe qui nie l’espace dans sa sphère totale, tel que le temps l’est dans la nature réelle. En outre, ne voulût-on pas même concéder ce point, l’atome, en tant que son mouvement est une ligne droite, est purement déterminé par l’espace, un mode d’être relatif lui est prescrit et son existence est purement matérielle. Or, nous avons vu qu’un des éléments du concept d’atome est d’être une pure forme, la négation de toute relativité, de toute relation avec un mode d’être différent. Nous avons remarqué en même temps qu’Épicure se représente objectivement les deux éléments qui se contredisent, il est vrai, mais sont inclus dans le concept d’atome.

Or, comment Épicure peut-il réaliser la pure détermination formelle de l’atome, le concept de pure individualité, laquelle nie tout mode d’être déterminé par autre chose ?

Comme il opère dans le domaine de l’être immédiat, toutes les déterminations sont immédiates. Les déterminations contraires sont donc opposées les unes aux autres en tant que réalités immédiates.

Mais l’existence relative qui s’oppose à l’atome, le mode d’être qu’il doit nier, c’est la ligne droite. La négation immédiate de ce mouvement est un autre mouvement, par conséquent, en représentation dans l’espace, la déclinaison de la ligne droite.

Les atomes sont des corps nettement autonomes, ou plutôt sont le corps, conçu dans une autonomie absolue, comme les corps célestes. Ils se meuvent donc aussi, comme ceux-ci, non pas en lignes droites, mais en lignes obliques. Le mouvement de chute est le mouvement de la non-autonomie.

Si donc Épicure représente, dans le mouvement de l’atome en ligne droite, sa matérialité, il en a, dans la déclinaison de la ligne droite, réalisé la détermination formelle, et ces déterminations opposées sont représentées comme des mouvements directement opposés.

C’est pourquoi Lucrèce a raison d’affirmer que la déclinaison brise les fati fœdera [10] [11] ; et, comme il applique aussitôt ceci à la conscience [12], on peut dire de l’atome que la déclinaison est, dans son sein, ce quelque chose qui peut lutter et résister.

Mais, quand Cicéron reproche à Épicure « de ne pas même obtenir le résultat en vue duquel il a imaginé tout cela ; car, si tous les atomes déclinaient, jamais il n’y en aurait qui s’uniraient, ou certains s’écarteraient et d’autres seraient, par leur mouvement, poussés tout droit ; il faudrait donc, pour ainsi dire, assigner aux atomes des tâches déterminées et désigner ceux qui devraient se mouvoir en ligne droite et ceux qui devraient se mouvoir en ligne oblique » [13], ce reproche trouve sa justification en ceci que les deux éléments inclus dans le concept d’atome sont représentés comme des mouvements immédiatement différents, devant, par conséquent, être attribués à des individus différents, – inconséquence qui est pourtant logique, puisque la sphère de l’atome est l’immédiat.

Épicure sent fort bien la contradiction qui réside dans cette théorie. Aussi s’efforce-t-il de donner de la déclinaison une représentation aussi peu sensible que possible. Elle n’est nec regione loci certa, nec tempore certo [14], elle se produit dans le plus petit espace possible [15]. Cicéron [16], et, d’après Plutarque, plusieurs anciens [17] font encore cet autre reproche : la déclinaison de l’atome se fait sans cause ; et rien de plus honteux, dit Cicéron, ne peut arriver à un physicien [18]. Mais, d’abord, une cause physique, telle que la veut Cicéron, rejetterait la déclinaison de l’atome dans la série du déterminisme, d’où elle doit précisément nous sortir. Ensuite, l’atome n’est pas du tout arrivé à l’état parfait, tant qu’il n’est pas posé avec la détermination de la déclinaison. Demander la cause de cette détermination revient donc à demander la cause qui fait de l’atome un principe, - question évidemment dénuée de sens aux yeux de celui pour qui l’atome est la cause de tout, mais est lui-même sans cause.

Lorsqu’enfin Bayle [19], appuyé sur l’autorité de saint Augustin [20], suivant qui Démocrite a attribué aux atomes un principe spirituel, – autorité d’ailleurs sans la moindre importance, vu son opposition avec Aristote et les autres anciens, – reproche à Épicure d’avoir, en lieu et place de ce principe spirituel, imaginé la déclinaison, on aurait tout au plus, en parlant de l’âme de l’atome, gagné un terme, tandis que, dans la déclinaison, est représentée l’âme véritable de l’a tome, le concept de l’individualité abstraite.

Avant d’examiner la conséquence de la déclinaison de l’atome de la ligne droite, il nous faut encore insister sur un point très important, complètement laissé de côté jusqu’à ce jour.

La déclinaison de l’atome de la ligne droite n’est pas, en effet, une détermination particulière, apparaissant par hasard dans la physique épicurienne. La loi qu’elle exprime pénètre au contraire toute la philosophie d’Épicure, mais de telle façon, naturellement, que la forme déterminée de son apparition dépend de la sphère où elle est appliquée.

En effet, l’individualité abstraite ne peut affirmer son concept, sa détermination de forme, son pur être-pour-soi, son indépendance de tout mode immédiat, la suppression de toute relativité, qu’en faisant abstraction du mode d’être qui s’y oppose ; car, pour en venir vraiment à bout, elle serait forcée de l’idéaliser, ce dont la généralité seule est capable.

De même donc que l’atome se libère de son existence relative, la ligne droite, en en faisant abstraction, en s’en écartant, de même toute la philosophie épicurienne s’écarte du mode d’être limitatif partout où le concept d’individualité abstraite, l’autonomie et la négation de toute relation avec autre chose, doit être représentée dans son existence.

Ainsi, le but de l’action est l’abstraction, l’effacement devant la douleur et tout ce qui peut nous troubler, l’ataraxie [21]. Ainsi le bien consiste à fuir le mauvais [22], et le plaisir se réduit à éviter la peine [23]. Enfin, là où l’individualité abstraite apparaît en sa plus haute liberté et autonomie, dans sa totalité, l’existence dont on s’écarte est logiquement toute existence ; et c’est pourquoi les dieux évitent le monde [24].

On a raillé ces dieux d’Épicure qui, semblables aux hommes, habitent les intermondes du monde effectif, n’ont pas de corps, mais un quasi-corps, pas de sang, mais du quasi-sang [25], et, figés dans un calme bienheureux, n’exaucent aucune supplication, ne se soucient ni de nous ni du monde et sont honorés non par intérêt, mais pour leur beauté, leur majesté et leur nature excellente.

Et cependant ces dieux se sont pas une fiction d’Épicure. Ce sont les dieux plastiques de l’art grec. Cicéron, le Romain, les persifle à bon droit [26] ; mais Plutarque, le Grec, a oublié toute conception grecque quand il dit que cette théorie des dieux supprime la crainte et la superstition, qu’elle n’accorde aux dieux ni joie ni faveur, mais nous prête avec eux les mêmes relations que nous avons avec les poissons d’Hyrcanie [27], dont nous n’attendons ni préjudice ni utilité [28]. Le calme théorique est un élément capital du caractère des divinités grecques, comme le dit Aristote lui-même :

« Ce qui est le meilleur n’a pas besoin d’action, car il est à lui-même sa propre fin. » [29]

Nous allons considérer à présent la conséquence qui découle immédiatement de la déclinaison de l’atome. Ce qui s’y exprime, c’est que l’atome nie tout mouvement et toute relation, où il est déterminé par quelque chose d’autre comme mode particulier d’être. Et cela se représente en ce que l’atome fait abstraction de l’être qui s’oppose à lui, et s’y soustrait. Mais ce qui est contenu en ceci, sa négation de tout rapport avec autre chose, il faut le réaliser, l’établir positivement. Cela ne peut se faire que si l’être auquel il se rapporte n’est autre que lui-même, donc également un atome et, puisqu’il est lui-même immédiatement déterminé, une pluralité d’atomes. Ainsi la répulsion des atomes multiples est la réalisation nécessaire de la lex atomi [30], ainsi que Lucrèce appelle la déclinaison. Or, comme toute détermination est, dans ce cas, posée comme un mode d’être particulier, la répulsion s’ajoute comme troisième mouvement aux mouvements précédents. Lucrèce a raison de dire que, si les atomes n’avaient pas coutume de décliner, il n’y aurait eu ni répulsion, ni rencontre et que le monde n’eût jamais été créé [31]. Car les atomes sont à eux-mêmes leur unique objet et ne peuvent se rapporter qu’à eux-mêmes et par conséquent, exprimés dans l’espace, se rencontrer que si toute existence relative, où ils seraient en relation avec autre chose, est niée ; et cette existence relative est, ainsi que nous l’avons vu, leur mouvement originel, celui de la chute en ligne droite. Ainsi donc il ne se rencontrent qu’en déclinant de cette ligne. Cela n’a rien d’une fragmentation simplement matérielle. [32]

Et en réalité, l’individualité existant immédiatement n’est réalisée selon son concept qu’autant qu’elle se rapporte à une autre individualité, qui est elle-même, bien que cette autre se présente à elle sous la forme d’une existence immédiate. C’est ainsi que l’homme ne cesse d’être un produit naturel que si l’autre individu, auquel il se rapporte, n’est pas une existence différente, mais lui-même un homme individuel, bien que pas encore l’esprit. Mais pour que l’homme en tant qu’homme devienne pour lui-même son unique objet réel, il faut qu’il ait brisé en lui son mode d’être relatif, la force de la passion, et de la simple nature. La répulsion est la première forme de la conscience de soi ; elle répond donc à la conscience de soi se concevant comme existant immédiatement, comme une individualité abstraite.

Dans la répulsion est donc réalisé le concept d’atome, suivant lequel elle est la forme abstraite ; mais tout autant le concept contraire, suivant lequel elle est la matière abstraite ; car ce avec quoi l’atome entre en relation, ce sont bien des atomes, mais d’autres atomes. Or, si je me rapporte à moi-même comme à quelque chose immédiatement autre, mon rapport est un rapport matériel. C’est le plus haut degré d’extériorité qui se puisse concevoir. Dans la répulsion des atomes, leur matérialité, posée dans la chute en ligne droite, et leur détermination de forme, posée dans la déclinaison, sont donc synthétiquement réunies.

Démocrite, contrairement à Épicure, transforme en mouvement forcé, en acte de l’aveugle nécessité, ce qui, pour celui-ci, est réalisation du concept d’atome. Nous avons déjà vu plus haut qu’il donne comme substance de la nécessité le tourbillon (δίνη) qui provient de la répulsion et du choc des atomes. Il n’envisage donc, dans la répulsion, que le côté matériel, la dispersion, la modification, et non pas le côté idéal, d’après lequel toute relation avec autre chose y est niée et le mouvement posé comme auto-détermination. Ceci, on le voit nettement par le fait que, de façon absolument sensible, il se figure un seul et même corps divisé en plusieurs par l’espace vide, comme de l’or brisé en morceaux [33]. C’est donc à peine s’il conçoit l’Un comme concept de l’atome.

C’est à juste titre qu’Aristote polémique contre lui :

« Leucippe et Démocrite, qui prétendent que les corps premiers se meuvent toujours dans le vide et l’infini, auraient donc dû nous dire de quelle nature est ce mouvement et quel est le mouvement adéquat à leur nature. En effet, si chacun des éléments est mis de force en mouvement par un autre, il est pourtant nécessaire que chacun ait également un mouvement naturel, auquel le mouvement forcé soit étranger ; et il faut que ce premier mouvement ne soit pas forcé, mais naturel. Autrement, la progression, s’étend à l’infini. » [34]

La déclinaison épicurienne de l’atome a donc modifié toute la construction intime du monde des atomes, en faisant prévaloir la détermination de la forme et en réalisant la contradiction comprise dans le concept d’atome. Épicure a donc été le premier à comprendre, bien que sous une forme sensible, l’essence de la répulsion, tandis que Démocrite n’en a connu que l’existence matérielle.

Aussi trouvons-nous des formes plus concrètes de la répulsion employées par Épicure : en matière politique, c’est le contrat [35], et en matière sociale l’amitié qu’il prône comme le bien suprême.

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Chapitre II
Les qualités de l’atome

Il est contradictoire au concept d’atome d’avoir des qualités ; car, comme dit Épicure, toute qualité est modifiable, mais les atomes ne se modifient pas [36]. Il n’en subsiste pas moins une conséquence nécessaire de leur en attribuer. Car la pluralité des atomes de la répulsion, séparés par l’espace sensible, doivent nécessairement être immédiatement différents entre eux et avec leur essence pure, en d’autres termes posséder des qualités.

Dans les développements ci-après, je ne tiens donc nullement compte de l’affirmation de Schneider et de Nürnberger, qui prétendent qu’Épicure n’a pas attribué de qualités aux atomes et que les §§ 44 et 54, dans la Lettre à Hérodote, chez Diogène Laërce, sont interpolés. Cela fût-il vrai, comment ôter toute valeur aux témoignages de Laërce, de Plutarque, voire de tous les auteurs qui parlent d’Épicure ? En outre, ce n’est pas dans deux paragraphes seulement que Diogène Laërce mentionne les qualités de l’atome, c’est dans dix, les §§ 42, 43, 44, 54, 55, 56, 57, 58, 59 et 61. La raison que font valoir ces critiques : « qu’ils ne réussissent pas à allier les qualités de l’atome avec son concept » est bien superficielle. Spinoza dit que l’ignorance n’est pas un argument (Éthique, I, Prop. 36, Appendice). Si chacun voulait biffer chez les anciens les passages qu’il ne comprend pas, qu’on arriverait donc vite à la tabula rasa !

Par les qualités, l’atome acquiert une existence en contradiction avec son concept ; il est posé en existence aliénée, différenciée de son essence. C’est cette contradiction qui constitue l’intérêt capital d’Épicure. En conséquence, dès qu’il a donc posé une qualité et tiré ainsi la conséquence de la nature matérielle de l’atome, il contre-pose [37] en même temps des déterminations qui anéantissent de nouveau cette qualité dans sa propre sphère et font valoir au contraire le concept d’atome. Il détermine donc toutes les qualités de telle façon qu’elles se contredisent elles-mêmes. Démocrite, au contraire, ne considère nulle part les qualités par rapport à l’atome lui-même et n’objective pas non plus la contradiction qui s’y trouve entre le concept et l’existence. La seule chose qui l’intéresse, au contraire, c’est d’exposer les qualités par rapport à la nature concrète qui doit en être formée. Ce ne sont, pour lui, que des hypothèses lui permettant d’expliquer la variété phénoménale. Le concept d’atome n’a donc rien à y voir.

Afin de démontrer notre affirmation, il est tout d’abord nécessaire de nous mettre au courant des sources qui semblent se contredire sur ce point.

Dans le traité De placitis philosophorum, il est dit : « Épicure prétend que les atomes ont trois qualités : grandeur, forme, pesanteur. Démocrite n’en admettait que deux : grandeur et forme ; Épicure y ajouta en troisième la pesanteur. » [38] Le même passage figure, reproduit mot pour mot, dans la Præparatio evangelica d’Eusèbe [39].

Il est confirmé par le témoignage de Simplicius et de Philopon, d’après lequel Démocrite n’a attribué aux atomes que la différence de la grandeur et de la forme. Directement contraire est le témoignage d’Aristote qui, dans son livre Περί γενέσεως και φθοράς [40], attribue aux atomes de Démocrite des différences de pesanteur [41]. Dans un autre passage (au premier livre du traité Περί ουρανού [42]), Aristote laisse indécise la question de savoir si Démocrite a attribué ou non de la pesanteur aux atomes. Il dit en effet :

« Ainsi, aucun des corps ne sera absolument léger, si tous ont de la pesanteur ; mais si tous ont de la légèreté, aucun ne sera pesant. » [43]

Ritter, dans son Histoire de la philosophie ancienne [44], rejette, en s’appuyant sur l’autorité d’Aristote, les données de Plutarque, d’Eusèbe et de Stobée ; quant aux témoignages de Simplicius et de Philopon, il ne s’en occupe pas.

Voyons si ces passages sont réellement si contradictoires. Dans les passages cités, ce n’est pas ex professo qu’Aristote parle des qualités des atomes. Il dit, par contre, au livre H de la Métaphysique :

« Démocrite pose trois différences des atomes. Car le corps fondamental, dit-il, est, au point de vue de la matière, un seul et même corps ; mais il est différencié par le ῥυσμὸς (rhusmòs) qui signifie la figure, par la τροπὴ (tropè), qui signifie l’orientation, ou par la διαθιγὴ (diathigè), qui signifie la disposition » [45].

Il découle immédiatement de ce passage que la pesanteur n’est pas mentionnée comme une qualité des atomes de Démocrite. Les particules éparses de la matière, tenues séparées entre elles par le vide, doivent avoir des formes particulières, et ces formes leur adviennent absolument de l’extérieur, par la considération de l’espace. Ceci ressort plus clairement encore du passage suivant d’Aristote :

« Leucippe et son compagnon Démocrite, prirent pour éléments le plein et le vide [...] Ce sont les causes des êtres, en tant que matière. Et de même que ceux qui posent une substance fondamentale unique font naître tout le reste des modifications de cette substance, en supposant comme principes des qualités la raréfaction et la densité, de même ceux-là enseignent que les différences des atomes sont les causes de toutes les autres qualités. Ces différences, disent-ils, sont au nombre de trois : ῥυσμὸς, διαθιγὴ et τροπὴ [...] C’est ainsi, par exemple, qu’A se différencie de N par la forme, AN de NA par la disposition, Z de N par l’orientation. » [46]

II découle avec évidence de ce passage que Démocrite ne considère les qualités des atomes que par rapport à la formation des différences dans le monde des phénomènes, et non par rapport à l’atome. Il s’ensuit en outre que Démocrite ne signale pas la pesanteur comme une qualité essentielle des atomes. Cette qualité va de soi, tout ce qui est matériel étant pesant. Pareillement, selon lui, la grandeur elle-même n’est pas une qualité fondamentale. C’est une détermination accidentelle, que les atomes ont reçue en même temps que la figure. Seules les différences des figures, car rien de plus n’est contenu dans la forme, l’orientation et la disposition, intéressent Démocrite. Grandeur, forme, pesanteur, combinées comme elles le sont chez Épicure, sont des différences que l’atome a en lui-même ; forme, orientation, disposition, sont des différences qui lui appartiennent par rapport à un autre objet. Tandis que nous ne trouvons donc, chez Démocrite, que des déterminations hypothétiques destinées à expliquer le monde phénoménal, nous aurons chez Épicure la conséquence du principe même. C’est pourquoi nous allons considérer par le détail ses déterminations des qualités de l’atome.

En premier lieu, les atomes ont une grandeur [47]. D’autre part, la grandeur est également niée. Ils n’ont pas, en effet, n’importe quelle grandeur [48], et il ne faut admettre que quelques variations de grandeur [49]. Bien mieux, on ne doit leur attribuer que la négation de la grandeur, c’est-à-dire la petitesse [50], et même pas la petitesse minima, car il y aurait là une détermination qui serait purement dans l’espace, mais une petitesse infime, qui exprime la contradiction [51]. Rosinius, dans ses annotations aux fragments d’Épicure, traduit donc inexactement un passage et passe l’autre complément sous silence, quand il dit : « Mais, de cette façon, Épicure démontrait la ténuité des atomes pour leur incroyable petitesse, en disant, au témoignage de Laërce, X, 44, qu’ils n’avaient pas de grandeur. » [52]

Mais je ne retiendrai pas que, d’après Eusèbe, Épicure fut le premier à attribuer aux atomes une petitesse infinie [53], tandis que Démocrite avait admis les atomes même les plus grands, grands comme le monde, affirme même Stobée. [54]

D’un côté, ceci contredit le témoignage d’Aristote [55], et de l’autre côté, Eusèbe, ou plutôt l’évêque d’Alexandrie, Denys, qu’il résume, se contredit lui-même ; car au même livre il est dit que Démocrite supposait comme principes de la nature des corps insécables, concevables par la raison [56]. Mais un point est clair : Démocrite ne prend pas conscience de la contradiction ; elle ne le préoccupe pas, tandis qu’elle constitue, pour Épicure, l’intérêt principal.

La deuxième qualité des atomes d’Épicure est la figure [57]. Mais cette détermination contredit elle aussi le concept d’atome, et il faut poser son contraire. L’individualité abstraite est l’identité abstraite avec soi-même, donc sans figure. Les différences de figure des atomes sont donc, il est vrai, indéterminables [58], mais elles ne sont pas absolument infinies [59]. C’est, au contraire, un nombre déterminé et fini de figures par quoi les atomes sont différenciés les uns des autres [60]. D’où il suit naturellement qu’il n’y a pas autant de figures différentes que d’atomes [61], tandis que Démocrite admet une infinité de figures [62]. Si tout atome avait une figure particulière, il devrait y avoir des atomes d’infinie grandeur [63], car ils auraient en soi une différence infinie, la différenciation d’avec tous les autres, comme les monades de Leibniz. L’affirmation de Leibniz qu’il n’y a pas deux objets semblables est donc renversée, et il y a un nombre infini d’atomes de même figure, ce qui implique évidemment la négation de la détermination de la figure, car une figure qui ne se différencie plus des autres n’est pas une figure. [64]

II est enfin très important qu’Épicure mentionne comme troisième qualité la pesanteur [65] ; car c’est dans le point de gravité que la matière possède l’individualité idéale qui constitue une détermination capitale de l’atome. Dès que les atomes sont donc transportés dans le domaine de la représentation, il faut qu’ils soient également pesants.

Mais la pesanteur est aussi en contradiction directe avec le concept d’atome ; car elle est l’individualité de la matière en tant que point idéal extérieur à la matière. Or, l’atome est lui-même cette individualité, en quelque sorte le point de gravité représenté comme une existence individuelle. Pour Épicure, la pesanteur existe donc uniquement comme différence de poids, et les atomes sont eux-mêmes des points de gravité substantiels, comme les corps célestes. Si l’on applique cela au monde concret, il résulte naturellement ce que le vieux Brucker trouve si extraordinaire [66] et ce que Lucrèce nous affirme [67], à savoir que la terre n’a pas de centre vers lequel tout tend et qu’il n’y a pas d’antipodes. En outre, la pesanteur ne revenant qu’à l’atome différencié des autres, donc aliéné et doué de qualités, il va de soi que, dès que les atomes ne sont pas conçus comme une pluralité dans leur différenciation entre eux, mais uniquement par rapport au vide, la détermination de poids disparaît. Les atomes, quelque différents qu’ils soient par la masse et la forme, se meuvent donc avec la même vitesse dans l’espace vide [68]. Aussi Épicure ne fait-il intervenir la pesanteur que dans la répulsion et les compositions qui en résultent ; ce qui a permis de prétendre que seuls les agglomérats d’atomes, mais non les atomes eux-mêmes, étaient doués de pesanteur. [69]

Gassendi loue Épicure pour le seul fait d’avoir, uniquement guidé par la raison, anticipé sur l’expérience qui montre que tous les corps, bien que très différents en poids et en masse, tombent néanmoins avec la même vitesse, lorsqu’ils tombent de haut en bas. [70]

La considération des qualités des atomes nous donne donc le même résultat que la considération de la déclinaison, c’est-à-dire qu’Épicure a objectivé la contradiction incluse, dans le concept d’atome, entre l’être et le mode d’être et a créé ainsi la science de l’atomistique, tandis que, chez Démocrite, il n’y a pas réalisation du principe même, mais maintien du seul côté matériel et fabrication d’hypothèses en vue de l’empirisme.

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Chapitre III
ἄτομοι ἀρχαὶ et ἄτομα στοιχεῖα [71]

Schaubach, dans sa dissertation déjà ci-dessus mentionnée sur les conceptions astronomiques d’Épicure, affirme :

« Épicure a fait, ainsi qu’Aristote, une distinction entre les principes (ἄτομοι ἀρχαὶ, Diogène Laërce, X, 41) et les éléments (ἄτομα στοιχεῖα, Diogëne Laërce, X, 86). Les premiers sont les atomes connaissables par la raison et n’occupent pas d’espace [72]. On les appelle atomes, non parce que ce sont les corps les plus petits, mais parce qu’ils ne sont pas divisibles dans l’espace. On pourrait croire, d’après ces conceptions, qu’Épicure n’a pas attribué aux atomes de qualités se rapportant à l’espace [73]. Cependant, dans la Lettre à Hérodote (Diogène Laërce, 44-45), il donne aux atomes non seulement une pesanteur, mais encore une grandeur et une figure... Je range donc ces atomes dans la seconde espèce, ceux qui sont issus des premiers, mais sont cependant considérés ensuite comme particules élémentaires des corps. [74] »

Examinons de plus près le passage de Diogène Laërce cité par Schaubach. Le voici :

« οἷον ὅτι τὸ πᾶν σώματα καὶ ἀναφὴς φύσις ἐστίν · ἢ ὅτι ἄτομα στοιχεῖα, καὶ πάντα τὰ τοιαῦτα » [75]

Épicure enseigne ici à Pythoclès, à qui il écrit, que la théorie des météores se distingue de toutes les autres doctrines physiques, par exemple que tout est corps et vide, qu’il y a des principes fondamentaux indivisibles. On le voit, il n’existe ici pas la moindre raison d’admettre qu’il soit question d’une espèce secondaire d’atomes [76]. II semble, peut-être, que la disjonction entre τὸ πᾶν σώματα καὶ ἀναφὴς φύσις et ὅτι ἄτομα στοιχεῖα établisse une distinction entre σῶμα et στοιχεῖα [77], le terme de σῶμα désignant les atomes de la première espèce par rapport aux ἄτομα στοιχεῖα. Mais il n’y faut pas penser. Σῶμα désigne le corporel par opposition au vide qui pour cette raison s’appelle également ἀσώματον [78]. Dans σῶμα sont donc compris les atomes aussi bien que les corps composés. C’est ainsi, par exemple, qu’il est dit dans la Lettre à Hérodote :

Τὸ πᾶν ἐστι τὸ σῶμα [...] εἰ μὴ ἦν ὃ κενὸν καὶ χώραν καὶ ἀναφῆ φύσιν ὀνομάζομεν [...] Τῶν σωμάτων τὰ μέν ἐστι συγκρίσεις, τὰ δ’ ἐξ ὧν αἱ συγκρίσεις πεποίηνται ταῦτα δέ ἐστιν ἄτομα καὶ ἀμετάβλητα [...] Ὥστε τὰς ἀρχὰς ἀτόμους ἀναγκαῖον εἶναι σωμάτων φύσεις... [79]

Dans le passage ci-dessus cité, Épicure parle donc d’abord du corporel en général, par opposition au vide, puis du corporel en particulier, les atomes.

La référence de Schaubach à Aristote est aussi peu probante. La distinction entre ἀρχὴ et στοιχεῖον, qui a les préférences des stoïciens [80], se trouve également, il est vrai, chez Aristote [81] ; mais celui-ci indique tout aussi bien l’identité des deux expressions [82]. Il enseigne même expressément que στοιχεῖον signifie surtout l’atome [83]. De même Leucippe et Démocrite appellent στοιχεῖον le πλῆρες καὶ κενὸν. [84]

Chez Lucrèce, dans les lettres d’Épicure, chez Diogème Laërce, dans le Colotès de Plutarque [85], chez Sextus Empiricus [86], les qualités sont attribuées aux atomes eux-mêmes ; et c’est précisément pour cela qu’ils ont été déterminés comme se supprimant eux-mêmes.

Mais si l’on considère comme une antinomie [87] que des corps uniquement perceptibles par la raison [Vernunft] soient doués de qualités dans l’espace, c’est une antinomie bien plus grande que les qualités dans l’espace ne puissent elles-mêmes être perçues que par l’entendement [Verstand]. [88]

Pour justifier davantage son opinion, Schaubach cite le passage suivant de Stobée : « Épicure [dit] que les [corps] primaires sont simples, mais que les corps qui en sont composés auraient cependant de la pesanteur ». À ce passage de Stobée on pourrait encore ajouter les passages suivants, où les ἄτομα στοιχεῖα sont mentionnés comme une espèce particulière d’atomes : [Plutarque] De placitis philosophorum, I, 246 et 249, et Stobée, Eclog. phys., I, p. 5 [89]. Il n’est, d’ailleurs, nullement affirmé dans ces passages que les atomes originels soient sans grandeur, sans figure et sans pesanteur. Il n’est au contraire parlé que de la pesanteur en tant que caractère différentiel des ἄτομοι ἀρχαὶ et des ἄτομα στοιχεῖα. Mais nous avons déjà remarqué au chapitre précédent qu’il n’est question de la pesanteur qu’à propos de la répulsion et des conglomérats qui en résultent.

L’invention des ἄτομα στοιχεῖα ne sert d’ailleurs de rien. Il est aussi malaisé de passer des ἄτομοι ἀρχαὶ aux ἄτομα στοιχεῖα que de leur attribuer directement des qualités. Cependant, je ne nie pas absolument cette distinction. La seule chose que je nie, c’est qu’il y ait deux espèces fixes et différentes d’atomes. Ce sont, au contraire, des déterminations différentes d’une seule et même espèce.

Avant d’expliquer cette différence, j’attire encore l’attention sur un procédé d’Épicure. Il aime, en effet, à poser comme existences différentes et autonomes les diverses déterminations d’un concept. De même que son principe est l’atome, la méthode même de sa science est atomistique. Sans qu’il s’en doute, tout élément de l’évolution se transforme immédiatement chez lui en une réalité fixe, séparée en quelque sorte de sa connexion par l’espace vide ; toute détermination prend la forme de l’individualité isolée.

L’exemple ci-après fera comprendre ce procédé.

L’infini, τὸ ἄπειρον [90], ou l’infinitio, comme traduit Cicéron, est parfois employé par Épicure comme une nature particulière ; bien plus, dans les passages même où nous trouvons les στοιχεῖα déterminés comme une substance fixe, nous trouvons aussi l’ἄπειρον doué d’indépendance [91].

Or, d’après les propres déterminations d’Épicure, l’infini n’est ni une substance particulière, ni quelque chose d’extérieur aux atomes et au vide, mais plutôt une détermination accidentelle. Nous trouvons en effet trois significations de l’ἄπειρον.

Premièrement l’ἄπειρον exprime, pour Épicure, une qualité commune aux atomes et au vide. Il désigne l’infinité du tout, qui est infini par l’infinie pluralité des atomes, par l’infinie grandeur du vide [92].

En second lieu, l’ἀπειρία est la pluralité des atomes, en sorte que ce qui est opposé au vide, ce n’est pas l’atome, mais la pluralité infinie des atomes [93].

Enfin, si nous pouvons conclure de Démocrite à Épicure, l’ἄπειρον signifie également le juste contraire, le vide illimité, opposé à l’atome déterminé en soi et limité par soi-même [94].

Dans toutes ces significations, – les seules et même les seules possibles pour l’atomistique, – l’infini n’est qu’une détermination de l’atome et du vide. Il est néanmoins constitué en une existence particulière, et même posé comme une nature spécifique à côté des principes dont il exprime la détermination.

Qu’Épicure ait donc fixé lui-même la détermination, où l’atome devient στοιχεῖον comme une espèce primitive et indépendante d’atomes, ce qui, d’après la prépondérance historique de l’une des sources sur l’autre, n’est d’ailleurs pas le cas, ou que Métrodore, le disciple d’Épicure, ait été, ce qui nous paraît plus vraisemblable, le premier à transformer la détermination différenciée en une existence différenciée [95], il nous faut attribuer au mode subjectif de la conscience atomistique l’autonomisation des éléments individuels. Parce que l’on prête à différentes déterminations la forme d’existence différente, on n’en a pas, pour cela, compris la différence.

L’atome n’a, pour Démocrite, que la valeur d’un στοιχεῖον, d’un substrat matériel. La distinction entre l’atome en tant qu’ἀρχὴ et στοιχεῖον, en tant que principe et élément, appartient à Épicure. Ce qui suit nous en montrera l’importance.

La contradiction entre l’existence et l’essence, entre la matière et la forme, dans le concept d’atome, est posée dans chaque atome même, du fait qu’on attribue des qualités à celui-ci. Par la qualité, l’atome est aliéné [entfremdet] de son concept, mais en même temps parachevé dans sa construction. La répulsion et les conglomérations connexes des atomes qualifiés produisent ensuite le monde des phénomènes.

Dans ce passage du monde de l’essence au monde de la phénoménalité, la contradiction incluse dans le concept d’atome atteint évidemment sa réalisation la plus frappante. Car l’atome est, selon son concept, la forme absolue, essentielle, de la nature. Cette forme absolue est maintenant dégradée à la matière absolue, au substrat informe du monde phénoménal.

Les atomes sont bien la substance de la nature [96], d’où tout provient, où tout retourne [97] ; mais l’anéantissement perpétuel du monde phénoménal n’aboutit à aucun résultat. Il se forme des phénomènes nouveaux ; mais l’atome reste toujours au fond comme dépôt [98]. En tant que l’atome est donc conçu selon son concept pur, c’est l’espace vide, la nature anéantie, qui est son existence ; en tant qu’il passe à la réalité, il est ravalé à l’état de base matérielle qui, support d’un monde à rapports multiples, n’existe jamais autrement que dans des formes extérieures et qui lui sont indifférentes. C’est là une conséquence nécessaire, parce que l’atome, supposé comme une individualité abstraite et quelque chose de fini, ne peut s’affirmer comme force qui idéaliserait et dominerait cette multiplicité.

L’individualité abstraite, c’est la liberté à l’égard de l’existence, non pas la liberté dans l’existence. Elle n’est pas à même de resplendir à la lumière de l’existence [99]. C’est là un élément où elle perd son caractère et devient matérielle. C’est pourquoi l’atome n’apparaît pas au grand jour de la phénoménalité où, s’il y apparaît, il est ravalé à l’état de base matérielle. L’atome comme tel n’existe que dans le vide. Ainsi donc la mort de la nature en est devenue la substance immortelle ; et c’est avec raison que Lucrèce s’écrie : Mortalem vitam mors [...] immortalis ademit. [100]

Mais le fait qu’Épicure saisit et objective ainsi la contradiction à son plus haut degré et distingue par conséquent l’atome qui, comme στοιχεῖον, devient la base des phénomènes, de l’atome qui, comme ἀρχὴ, existe dans le vide, voilà ce qui constitue, au point de vue philosophique, la différence entre lui et Démocrite, qui n’objective qu’un seul élément. C’est la même différence qui sépare Épicure et Démocrite dans le monde de l’être, dans le domaine des atomes et du vide. Mais, comme l’atome qualifié est le seul parfait, et que le monde phénoménal ne peut sortir que de l’atome parfait et aliéné de son concept, Épicure exprime ce fait en disant que seul l’atome qualifié devient στοιχεῖον ou que seul l’ἄτομον στοιχεῖον est doué de qualités.

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Chapitre IV
Le temps
NDLE : en préparation.

Notes

[1] Stobée, Églogues physiques, I : « Épicure dit [...] que les atomes se meuvent parfois perpendiculairement, parfois en inclinaison, mais qu’ils sont mus vers le haut par coups et par secousses. Cf. Cicéron, De Finibus, I, vi, et [Plutarque], De Placitis philosophorum, I, xii, 883a-b.

[2] Cicéron, De Nat. Deor., I, xxvi : « Qu’y a-t-il dans la physique d’Épicure qui ne vienne pas de Démocrite ? Il a bien changé quelque chose ainsi que je le disais tout à l’heure en rappelant la déclinaison des atomes... »

[3] Cicéron, De Finibus, I, vi.

[4] Cicéron, De Nat. Deor., I, xxv. Cf. Cicéron, De Fato, I, x.

[5] Pierre Bayle, Dict. hist. (loc. cit.).

[6] Schaubach, « Sur les conceptions astronomiques d’Épicure » [en allemand], Archiv für Philologie und Pädagogik, vol. V, 4, 1839.

[7] De Natura, II, 251 sqq. : « si tous les mouvements sont enchaînés dans la nature, si toujours d’un premier naît un second suivant un ordre rigoureux [...] d’où vient, dis-je, cette libre faculté arrachée au destin [...] ? »

[8] Aristote, De l’âme, I, 4, 409a.

[9] Diogène Laërce, Vies, X, 43. : « Les atomes sont dans un mouvement continuel ».

[10] Lucrèce, De Natura, II, 251 sqq. : « Si... par leur déclinaison, les atomes ne prennent pas l’initiative d’un mouvement qui rompe les lois du destin, pour empêcher la succession indéfinie des causes... »

[11] NDLE : Fati fœdera : « liens du destin ».

[12] Lucrère, De Natura, II, 279 : « il y a pourtant en nous quelque chose capable de combattre et de résister ».

[13] Cicéron, De Finibus, I, 6.

[14] Lucrèce, De Natura, II, 294 : « ni en un lieu certain, ni en un temps fixé ».

[15] Cicéron, De Fato, I, x : « il faut ajouter cette déclinaison infiniment petite, ἐλάχιστον, dit Épicure ».

[16] Cicéron, Ibid. : « Que c’est un mouvement sans cause, si Épicure ne le déclare pas expressément, au fond il est forcé d’en convenir ».

[17] Plutarque, De la création de l’âme, (1015b-c) : « Ils n’accordent pas à Épicure que l’atome décline de quelque manière, parce qu’il fait produire un mouvement par une cause qui vient du néant ».

[18] Cicéron, De Finibus, I, iv : « En effet, c’est par une pure fiction qu’il donne aux atomes un léger mouvement de déclinaison, dont il n’allègue aucune cause (51), ce qui est honteux à un physicien (52), et qu’il leur ôte en même temps, sans aucune cause, le mouvement direct de haut en bas qu’il avait établi dans tous les corps. »

[19] Pierre Bayle, loc. cit.

[20] Augustin, Lettres, 56.

[21] Diogène Laërce, Vies, X, 128.

[22] Plutarque, Non posse suaviter vivi secundum Epicurum, 1091.

[23] Clément d’Alexandrie, Stromates, livre II, 21.

[24] Sénèque, Des bienfaits, VI, iv : « La divinité n’accorde pas de bienfaits ; mais, calme et indifférente à notre sort, étrangère à la marche du monde [...] ; et les hommages des hommes ne le touchent pas plus que leurs outrages ».

[25] Cicéron, De Nat. Deor., I, xxiv.

[26] Cicéron, De Nat. Deor., I, xl : « Quel aliment choisi, quelles boissons, quelles sortes de sons ou de fleurs, quels contacts, quelles odeurs employer pour inonder les dieux de volupté ? » NDLE : Marx a probablement ici à l’esprit les remarques de Winckelmann, Geschichte der Kunst des Altertum (Histoire de l’art antique), Dresde, 1767 : « La beauté des divinités dans leur âge viril consiste dans la combinaison de la force de la maturité avec la joie de la jeunesse [...]. Mais cela s’exprime également dans une expression de divine auto-retenue, qui n’a pas besoin des parties de notre corps qui servent pour la nourriture ; et ceci éclaire l’opinion d’Épicure à propos de la forme des dieux, auxquels il donne un corps qui n’est que l’apparence d’un corps, et du sang, mais qui semble du sang, quelque chose que Cicéron considère comme obscur et inconcevable ».

[27] NDLE : ancien nom de la Mer Caspienne, lieu inaccessible pour les anciens Grecs.

[28] Plutarque, Non posse suaviter vivi secundum Epicurum, 1100-1101 : « la doctrine des Épicuriens dissipe, il est vrai, une certaine crainte des dieux et une certaine superstition, mais elle ne permet qu’aucune félicité ni joie ne vienne des dieux. Si elle laisse ses sectateurs exempts de trouble, elle les laisse aussi sans contentement. Ils se trouvent à l’égard des Dieux comme nous le sommes à l’égard des poissons hyrcaniens, dont nous n’attendons ni bien ni mal.

[29] Aristote, De Cælo, II, xii, 292b.

[30] NDLE : loi des atomes.

[31] Lucrèce, De Natura, II, 221 sqq. : « Sans cet écart, [...] il n’y aurait eu nulle collision, et jamais la nature n’eût rien créé. »

[32] Lucrèce, De Natura, II, 284 sqq. : « C’est pourquoi les atomes aussi [...] ont une autre cause de mouvement que les chocs et la pesanteur, une cause d’où nous provient le pouvoir de la volonté [...] Mais il faut encore que l’esprit ne porte pas en soi une nécessité intérieure qui le contraigne dans tous ses actes, il faut qu’il échappe à cette tyrannie et ne se trouve pas réduit à la passivité : or, tel est l’effet d’une légère déviation des atomes ».

[33] Aristote, De Cælo, I, vii, 276a : « Mais si l’univers n’est pas continu et fini, comme le disent Démocrite et Leucippe, les atomes sont séparés et déterminés entre eux par le vide. La conséquence nécessaire de cette théorie, c’est qu’il n’y a plus qu’un seul et unique mouvement [...] ils n’ont cependant qu’une seule et même nature, comme si, par exemple, chacun d’eux était un morceau d’or distinct et séparé. »

[34] Aristote, De Cælo, III, ii, 301a [Marx donne en note la suite du texte d’Aristote] : « car ce serait aller à l’infini et s’y perdre, que de ne pas admettre qu’il y a un premier moteur naturel, et que de croire que le moteur antérieur ne donne le mouvement qu’en étant toujours mu lui-même par force.

[35] Diogène Laërce, Vies, X, 150.

[36] Diogène Laërce, Vies, X, 54. Lucrèce, De Natura, II, 861 sqq. : « tout cela doit rester étranger aux atomes, si tu veux asseoir la nature sur des fondements éternels et assurer son salut. »

[37] NDLE : le terme allemand est kontraponiert.

[38] -[Plutarque], De placitis philosophorum, I, 877e : Épicure prétend que les atomes ont trois qualités : grandeur, forme, pesanteur. Démocrite n’en admettait que deux : grandeur et forme ; Épicure y ajouta en troisième la pesanteur. Ces corps [...] ne peuvent se mouvoir que par l’impulsion de leur gravité ».

[39] Eusèbe de Césarée, Préparation évangelique, XIV, xiv.

[40] Perí genéseos kai phthorás : La traduction courante de ce titre, imitée du latin De generatione et corruptione, est « De la génération et de la corruption ».

[41] Aristote, De la génération et de la corruption, I, viii, 326a : « Et cependant chacun des atomes est d’autant plus pesant, selon Démocrite, qu’il est plus gros ».

[42] Perí ouranoú : De Cælo.

[43] Aristote, De Cælo, I, vii, 276b

[44] Ritter, Geschichte der alten Philosophie, 1836, I, p. 602 n. 2..

[45] Aristote, Métaphysique H, 2, 1042b11-15.

[46] Aristote, Métaphysique A, 985b4-15 : « Leucippe et son compagnon Démocrite, prirent pour éléments le plein et le vide, qu’ils appelaient l’être et le non-être. De ces principes, le plein et le solide sont l’être ; le vide le non-être (c’est pourquoi, à leur sens, l’être n’a pas plus d’existence que le non-être, parce que le vide n’existe pas moins que le corps). Ce sont les causes des êtres, en tant que matière. Et de même que ceux qui posent une substance fondamentale unique font naître tout le reste des modifications de cette substance, en supposant comme principes des qualités la raréfaction et la densité, de même ceux-là enseignent que les différences des atomes sont les causes de toutes les autres qualités. Ces différences, disent-ils, sont au nombre de trois : ῥυσμὸς, διαθιγὴ et τροπὴ [configuration, contact et tournure]. Or la configuration, c’est la figure, le contact c’est l’ordre, et la tournure c’est l’orientation. C’est ainsi, par exemple, qu’A se différencie de N par la figure, AN de NA par la disposition, Z de N par l’orientation. »

[47] Diogène Laërce, Vies, X, 44 : « Les atomes n’ont aucune qualité excepté leur forme, taille, et pesanteur [...] D’ailleurs, ils n’ont pas n’importe quelle grandeur, puisque jamais un atome ne peut être connu par la sensation ».

[48] Diogène Laërce, Vies, X, 56 : « Il n’est pas nécessaire encore, pour la différence des qualités, que les atomes aient toutes sortes de grandeurs. Si cela était, il y aurait aussi des atomes que nous devrions apercevoir ; ce qu’on ne voit pas qui ait lieu ; et on ne comprend pas non plus comment on pourrait voir un atome. »

[49] Diogène Laërce, Vies, X, 55 : « Il ne faut pas croire que les atomes renferment toutes sortes de grandeurs [...] mais ils renferment des différences de grandeur »

[50] Diogène Laërce, Vies, X, 59 : « Il diffère par sa petitesse de ce qui tombe sous les sens, mais il est soumis à la même analogie ; et quand nous disons que l’atome a une grandeur suivant cette analogie, nous ne parlons que de celle qui est petite »

[51] Diogène Laërce, Vies, X, 58.

[52] Epicuri Fragmenta librorum II [et] XI de Natura, éd. Rosinius et Orellius, Lipsiæ, 1818.

[53] Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, XIV, xxiii : « Leur dissentiment ne consiste qu’en ce que l’un [Épicure] veut que tous les atomes soient les plus petits possibles, et par là même imperceptibles ; Démocrite, au contraire, a supposé que les atomes pouvaient être de la plus grande dimension. »

[54] Stobée, Églogues physiques, I, 17. Cf.

[55] Aristote, De la génération, I, viii, 324b : « invisibles en raison de leur petitesse ».

[56] Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, XIV, xiv : « [Démocrite] donne pour éléments aux êtres les corpuscules insécables, seulement conçus par la raison ». Cf. [Plutarque], De placitis philosophorum, I, iii, 877d.

[57] Diogène Laërce, Vies, X, 54. Cf. X, 44.

[58] Diogène Laërce, Vies, X, 42.

[59] Ibid.

[60] Lucrèce, De Natura, II, 513 : « il faut nécessairement reconnaître que la diversité des formes ne peut être infinie » ; Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, XIV, xiv : « Les formes des atomes sont indéfinissables, mais non infinies » ; Cf. [Plutarque], De placitis philosophorum, 877e.

[61] Diogène Laërce, Vies, X, 42 : « De plus, chaque figure présente un nombre infini d’exemplaires » ; Lucrèce, De Natura, II, 525-528 : « Et, en effet, la diversité de forme ayant ses limites, il faut ou que les éléments semblables soient en nombre sans fin ou qu’il y ait une limite pour la matière totale : ce qui n’est pas, je l’ai prouvé. »

[62] Aristote, De Cælo, III, iv, 303b : « Mais la raison ne peut pas plus admettre les théories de quelques autres philosophes, tels que Leucippe et Démocrite d’Abdère. [...] De plus, comme les corps diffèrent par leurs formes, et que les formes sont infinies en nombre, il faut aussi, d’après eux, que les corps simples soient en nombre infini. Du reste, ils n’ont pas expliqué quelle était la forme de chacun des éléments, et ils se sont bornés à attribuer la forme de la sphère au feu ; quant à l’air et aux autres éléments... »

[63] Lucrèce, De Natura, II, 474-484, 491-492, 495-497 : « les formes des atomes ne varient pas à l’infini. Autrement, il faudrait qu’il y eût certains atomes d’une infinie grandeur. Car dans leur commune petitesse, ils ne sont pas susceptibles d’une riche variété de formes. [...] pour peu que tu veuilles encore trouver de nouvelles figures [...], d’autres combinaisons exigeront d’autres parties à leur tour [...] Tu vois donc que la multiplication des formes entraîne l’augmentation du volume. Alors, comment serait-il possible d’admettre pour les atomes une infinie diversité de formes ? »

[64] Cf. note 61.

[65] Diogène Laërce, Vies, X, 44 et 54.

[66] J. Brucker, Institutiones historiae philosophiae, [Leipzig, 1747], p. 224.

[67] Lucrèce, De Natura, I, 1051-1052 : « Surtout ne va pas croire, cher Memmius, que toutes choses tendent vers le centre du monde, comme le disent quelques hommes ».

[68] Diogène Laërce, Vies, X, 43 : « Les atomes sont dans un mouvement continuel, [...] ils se meuvent avec la même vitesse, parce que le vide laisse sans cesse le même passage au plus léger comme au plus, pesant » ; X, 61 : « Les atomes ont tous une égale vitesse dans le vide, où ils ne rencontrent aucun obstacle. Les légers ne vont pas plus lentement que ceux qui ont plus de poids, ni les petits moins vite que les grands, parce que n’y ayant rien qui en arrête le cours, leur vitesse est également proportionnée ». Lucrèce, De Natura, II, 235-239 : « Mais à aucun corps, en nul point, dans nul moment, le vide ne peut cesser, comme le veut sa nature, de céder. Aussi tous les atomes doivent, à travers le vide inerte, être emportés d’une vitesse égale, malgré l’inégalité de leurs pesanteurs. ».

[69] Cf. chapitre III.

[70] L. Feuerbach, Geschichte der neuern Philosophie [1833], cite Gassendi, loc. cit. XXXIII, 7 : Bien qu’Épicure n’ait peut-être jamais songé à cette expérience, a pensé des atomes, conduit par la raison, cette même chose que l’expérience nous a enseignée récemment, savoir que tous les corps [...], bien que différents, tant par le poids que par la masse, ont la même vitesse lorsqu’ils chutent de haut en bas. Il a pensé aussi que tous les atomes, autant ils diffèrent en taille et en poids, ont une vitesse égale dans leur mouvement.

[71] NDLE : « Átomoi archaì » et « átoma stoicheîa », atomes principes et atomes éléments.

[72] Άμέτοχα ϰενοῦ [Stobée, Églogues physiques, I] ne signifie pas du tout « ne remplissent aucun espace », mais « ne font pas partie du vide » ; c’est ce que dit ailleurs Diogène Laërce : « on ne distingue pas de parties »[X, 58]. On doit entendre cette expression de la même manière dans [Plutarque] De placitis philosophorum, I, 877d.

[73] C’est encore une conclusion erronée : ce qui ne peut être divisé dans l’espace n’en est pas pour autant hors de l’espace ou sans relation spatiale.

[74] Schaubach, loc. cit., pp. 549-550.

[75] NDLE : Diogène Laërce, Vies, X, 86 : « ...par exemple que le tout est entièrement corporel et intangible, que les éléments sont des atomes et toutes ces sortes de choses ».

[76] Diogène Laërce, Vies, X, 44.

[77] NDLE : entre « sôma » (corps) et « stoicheîa » (éléments).

[78] Diogène Laërce, Vies, X, 67 : « Mais il est impossible de concevoir quoi que ce soit d’incorporel existant en soi, excepté le vide ».

[79] Diogène Laërce, Vies, X, 39-40-41. [NDLE : « le tout est le corps [...] s’il n’y avait point de vide ni de lieu, ce qu’autrement nous désignons par le nom de nature impalpable [...] Quant aux corps, les uns sont des assemblages, les autres des corps dont ces assemblages sont formés, et ceux-ci sont indivisibles et immuables [...] Aussi ces principes sont-ils nécessairement de nature corporelle indivisible. »] -

[80] Diogène Laërce, Vies, VII, i, 134 : « Ils [les stoïciens] mettent une différence entre les principes et les éléments. Les premiers ne sont ni engendrés ni corruptibles ; mais un embrasement peut corrompre les seconds. »

[81] Aristote, Métaphysique Γ, 1 et 3.

[82] Cf. loc. cit.

[83] Aristote, Métaphysique Δ, 3, 1014a et b : « De même ceux qui traitent les éléments des corps appellent ainsi les ultimes parties en lesquelles se divisent les corps, parties qu’on ne peut plus diviser en d’autres corps d’espèce différente. [...] C’est pourquoi le petit, le simple, l’indivisible est appelé élément. »

[84] Aristote, Métaphysique Α, 3, 985b. NDLE : plérès kaí kenòn : « le plein et le vide ».

[85] Diogène Laërce, Vies, X, 54 ; Plutarque, Contre Colotès, I, 1110 : « cette opinion est aussi intimement liée aux dogmes d’Épicure que la figure et la pesanteur sont, suivant les épicuriens mêmes, inséparables des atomes ».

[86] Sextus Empiricus, Contre les professeurs.

[87] NDLE : le terme allemand est bien « Antinomie ».

[88] Eusèbe de Césarée, Préparation évangélique, XIV, xxiii : « [Épicure dit] que les atomes sont [...] imperceptibles », et xiv : « qu’ils ont des formes perceptibles par la raison ».

[89] -[Plutarque] De placitis philosophorum, I, vii, 882a : « [Épicure] tient aussi que quatre autres êtres naturels, qui sont les atomes, le vide, l’infini et les parties semblables [homœoméries], sont incorruptibles. Il appelle ces dernières, indifféremment, parties semblables [homœoméries] et éléments. » xii, 833a : « Épicure croit que les corps sont infinis ; que les premiers éléments sont simples, mais que les êtres composés, formés de ceux-ci, ont de la gravité ».

[90] NDLE : tò ápeiron.

[91] Cf. loc. cit.

[92] Cicéron, De Finibus, I, vi : « c’est aussi [Démocrite] de lui qu’il a pris cette étendue à l’infini qu’il nomme ἀπειρία ». Diogène Laërce, Vies, X, 41 : « Or l’univers est infini à deux égards, par rapport au nombre des corps qu’il renferme et par rapport a la grandeur du vide ». NDLE : ἀπειρία [apeiría] : infinité.

[93] Plutarque, Contre Colotès, 1114 : « Voilà donc deux principes de génération que vous [Épicuriens] admettez, l’infini et le vide, dont l’un est privé d’action, impassible et incorporel ; l’autre, dépourvu d’ordre et de raison, et ne pouvant être terminé, se confond et se détruit lui-même, parce que son immense étendue n’admet ni borne ni mesure. »

[94] Simplicius, loc. cit., p.488.

[95] -[Plutarque], De placitis philosophorum, I, v, 879b et c : « Métrodore dit [...] que la preuve qu’il existe des mondes à l’infini, c’est qu’il y a une infinité de causes. [...] Or ces causes sont les atomes ou les éléments. » Stobée, Églogues physiques, I, 52.

[96] Lucrèce, De Natura, I, 820-21 : « car les mêmes éléments qui forment la terre, le ciel, la mer, les fleuves et le soleil, engendrent aussi les arbres, les moissons et les animaux ». Diogène Laërce, [Vies, X, 39 : « Or le tout fut toujours tel qu’il est et sera toujours dans le même état, n’y ayant rien en quoi il puisse se changer. En effet, outre l’univers, il n’existe rien en quoi il puisse se convertir et subir un changement. [...] Le tout est corporel. » X, 41 : « Ceux-ci sont indivisibles [ἄτομα] et immuables, à moins que toutes choses ne s’anéantissent en ce qui n’est point ; mais ces corps subsisteront constamment dans les dissolutions des assemblages, existeront par leur nature, et ne peuvent être dissous, n’y ayant rien en quoi et de quelle manière ils puissent se dissoudre. »

[97] Diogène Laërce, [Vies, X, 73-74 : « et toutes choses se dissolvent, les unes promptement, les autres plus lentement, les unes et les autres par diverses causes de différente manière. Il est donc clair qu’Épicure déclarait les mondes périssables, leurs parties étant sujettes au changement. » Lucrèce, De Natura, V, 109 sq. : « Puisse le raisonnement plutôt que l’événement apporter la preuve que le monde vaincu peut sombrer dans un horrible fracas ! » et V, 373-75 : « La porte de la mort n’est donc fermée ni au ciel, ni au soleil, ni à la terre, ni aux profondes eaux de la mer ; elle s’ouvre toute grande sur le gouffre immense et béant qui doit les engloutir. »

[98] Simplicius, loc. cit., p. 425.

[99] Lucrèce, De Natura, II, 796 : « Les atomes ne se produisent pas à la lumière »

[100] NDLE : « Une immortelle mort emporte la mortelle vie », De Natura, III, 869.


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